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Fervent partisan d'un socialisme autoritaire, le colonel Houari Boumédiène, à la faveur d’un coup d’État le 19 juin 1965, mit en place un pouvoir autocratique avec l’aide de l'armée et de la redoutée Sécurité militaire. Sur le plan intérieur, l'ère Boumédiène fut celle des nationalisations des secteurs importants de l'économie. C’est sous son régime que commencèrent les premières campagnes d’arabisation dans l'«Algérie nouvelle». Rappelons que Boumédiène avait reçu son instruction presque exclusivement en arabe classique dans les écoles coraniques de la région de Guelma, la médersa El Kettani (Constantine), et dans les universités théologiques de la Zitouna (Tunisie) et d'al-Azhar (Égypte), un haut lieu du fondamentalisme musulman. De ce fait, il n'a jamais pu se libérer de l'emprise de la religion et de l'arabe coranique. L'arabisation devint l'«option fondamentale de l'Éducation nationale». Le président Boumédiène avait été très clair sur ce sujet :
Boumédiène avait même déclaré en novembre 1968:'"L'arabisation ne peut être réalisé avec le seul concours de l'État. D'autres efforts doivent émaner également de l'élite arabisée [...]. Les mosquées sont à la disposition de ces élites pour alphabétiser et inculquer l'arabe aux adultes". La politique d'arabisation suscita de profondes tensions dans la population. Celles-ci aboutirent à des heurts parfois violents entre les étudiants, comme en mai 1975, à Alger et à Constantine. Des professeurs irakiens vinrent enseigner dans les universités. Mais l'arabisation décidée par le président Boumédiène (dès l'indépendance) continua inlassablement. En 1976, ce fut l'arabisation de l'affichage avec les noms de rues et des plaques d'immatriculation. Puis le vendredi fut déclaré «jour de repos hebdomadaire» à la place du dimanche. Mais les Amazighs furent, parmi les Algériens, ceux qui s'opposèrent le plus à l'arabisation. Leur résistance s'exprima dans l'usage exclusif de l'Amazigh et du français dans tous les lieux publics, que ce soit dans les cafés, les hôtels, les restaurants et les bureaux administratifs. Le 10 décembre 1976, Houari Boumédiène, candidat unique à la présidence, fut réélu avec 99 % des voix. Par la suite, Boumédiène mit la pédale douce à l'arabisation. Il fit même appel à Mostefa Lacheraf pour sauver l'école algérienne. De culture à la fois arabe et française, cet historien et essayiste était à l'époque un critique presque solitaire (et considéré aujourd'hui comme un visionnaire) d’une «arabisation» forcenée de l’enseignement. Il s'était souvent opposé à Ben Bella et croyait que la religion pourrait éventuellement jouer un rôle néfaste dans la société algérienne: "Premièrement, l'islam porte en lui le poids des valeurs propres à une civilisation rurale archaïque et son intégration à l'idéologie politique peut servir de frein à la modernisation du pays. Deuxièmement, les forces conservatrices vont s'appuyer sur la religion pour perpétuer des moeurs rétrogrades en ce qui concerne la famille, la condition féminine et les rapport dans la société". Trois décennies plus tard, ces prévisions paraissent d'une justesse remarquable, mais à l'époque elles pouvaient bouleverser les dogmes de l'oligarchie algérienne toute orientée sur le panarabisme et le Proche-Orient. Certains prétendirent que le président était plus sensibilisé aux tensions provoquées par l'arabisation, d'autres crurent que des rapports inquiétant sur la qualité de l'éducation lui étaient parvenus. Enfin, il est probable que le président, affaibli par la maladie, n'avait plus la force de soutenir fermement sa politique d'arabisation. Le 27 décembre 1978, la mort de Boumédiène mit un terme à cette «pause» dans l’arabisation. Cela dit, l'ère Boumédiène avait permis à la couche «arabisante» de la population de «profiter» de l’arabisation afin de prendre le contrôle de leviers importants en Algérie, tels que l'éducation et une partie de l’administration.
En 1976, Le président Boumédiène confisquera (en 1976) le Fichier Amazigh qui contenait un ensemble de publications sur des recherches Amazighes écrites en alphabet latin Les années de plomb de Boumédiene
Le pouvoir de Boumediene interdit à la chanteuse et romancière berbérophone Taos Amrouche ainsi qu’à d’autres chanteurs berbérophones de représenter l’Algérie à ce même festival. Amère, Taos Amrouche écrira une tribune "en marge du festival" dans le journal le Monde (ce qui vaudra à celui-ci avec les articles sur le procès de Krim Belkacem, près d’une année d’interdiction !). Néanmoins, Taos Amrouche se produira au moins une fois à la fin juin 69 à la Cité Universitaire de Ben Aknoun grâce à l’invitation du "cercle d’études berbères" qui y fonctionna avec plus ou moins de bonheur entre 68 et 70, appuyé par le comité de gestion de la cité.
1970 : A la chaîne kabyle de Radio-Alger, on notera que les reportages sportifs réalisés en direct des stades jusque-là en kabyle seront supprimés et assurés désormais par un relais de la chaîne en arabe. De la même façon on assiste unilatéralement au passage fréquent de disques en arabe sur la chaîne kabyle, alors que la réciproque sur la chaîne arabe ou mieux à la télévision n’est pas assurée (une chanson tous les trois à six mois au plus à la TV !). 15 Janvier 1971 : 1972 : Si Mohamed Baghdadi (directeur des sports) propose une réforme du sport mettant en place "la commune sportive de base" et il prétend aussi lutter contre le régionalisme et pour l’arabisation : il obtient ainsi la transformation de la JSK (Jeunesse Sportive de Kabylie) en JSK (Jamai Sarrii al Kawkabi). Mai-Juin 1972 : 1973 - 1974 : La chanson kabyle connaît un essor qualitatif très important et une production intense. Face aux multiples interdictions de l’enseignement et de l’écriture du berbère, il ne reste plus que la chanson comme moyen d’expression et de revendication. Durant cette année des étudiants comme Ferhat Mehenni et tant d’autres créent le groupe "Imazighen Imoula" (Les berbères du nord). A l’initiative d’Amar Mezdad, d’autres étudiants kabyles créent à leur tour le groupe "Lazouq" où se retrouvent Sid Ahmed Abderrahmane, Mokrane Ghozlane, Ali Ouabadi et Idir. Mais c’est ce dernier qui, à travers sa chanson "baba Inouba", donnera un nouveau souffle à la chanson kabyle et lui permettra de s’internationaliser. Les thèmes de la chanson kabyle de ces débuts des années 1970, sont essentiellement axés sur la revendication identitaire et culturelle berbère, la liberté d’expression et la situation de la femme. On ne chante plus seulement les thèmes de l’amour, l’émigration et la religion. La chanson kabyle désormais "interroge, démontre, critique, propose, dénonce, loue, affronte, polémique et provoque". La politique d’oppression est le plus important leitmotiv. Face à son engagement, cette chanson, qui véhicule un discours radical et parfois virulent envers le pouvoir en place, connaîtra la répression et vivra dans la clandestinité. Ses interprètes seront successivement arrêtés ou marginalisés. Juin 1974 : Cette même fête des cerises sera d’ailleurs interdite l’année suivante Novembre 1974 : 1974-1975 : Juillet 1975 : 5 Janvier 1976 : C’est aussi le cas de Lounès Kaci et de Hocine Cheradi qui ont posé une bombe au siège du quotidien "El-Moudjahid" à Alger et de Mohamed Smaïl Medjeber qui a posé une bombe au tribunal militaire d’Oran le 3 janvier avec la complicité de Daniel Paul, de Salby Jay et d’André Noël Cherid. Le choix des cibles est très significatif : El-Moudjahid connu pour son aversion pour la question de tamazight, les tribunaux militaires où la répression est assez symbolique, (...) la chaîne de télévision un des outils les plus monstrueux de la répression". Ces poseurs de bombes sont accusés de trahison, d’atteinte à la sûreté de l’Etat, de complicité, de trafic de devises et de jets d’explosifs. Ils sont condamnés par le tribunal de Médéa le 2 mars 1976. Trois peines capitales, deux condamnations à perpétuité et d’autres peines allant de dix à Vingt ans de prison. 16 Avril 1976 : Après avoir défini la mission du système éducatif qui s’inscrit dans le cadre "des valeurs arabo-islamiques et de la conscience socialiste", l’enseignement est assuré en langue nationale à tous les niveaux d’éducation et de formation et dans toutes les disciplines. La mission de l’école fondamentale est de dispenser aux élèves "un enseignement de langue arabe leur permettant une maîtrise totale de l’expression écrite et orale ; cet enseignement, qui est un facteur important de développement de leur personnalité, doit les doter d’un instrument de travail et d’échange pour se pénétrer des différentes disciplines et pour communiquer avec leur milieu". L’arabisation porte aussi sur l’enseignement préparatoire qui est dispensé "exclusivement en langue arabe". Cette ordonnance met fin d’une manière très claire aux espoirs et aux attentes des berbéristes et des berbérophones. Tamazight est ainsi mise à l’écart et exclue de l’école. Le choix de l’État algérien est désormais fait. L’arabisation est décrétée. Cette décision des plus hautes instances de l’État engendre un mépris jamais égalé dans les milieux berbérophones et surtout en Kabylie. La revendication se radicalise. Les contestations s’enveniment après la promulgation de la Constitution et de la Charte nationale qui renforcent l’arabisation et la définition de l’Algérie comme nation arabo-islamique. La répression s’abattra aussi sur les berbéristes. Mai - Juin 1976 : A ces débats, les jeunes militants berbéristes ont pris part en masse. Sept cent vingt (720) prises de parole sont semble-t-il décomptées dans Alger. Ainsi la revendication culturelle et identitaire berbère connaît une ampleur importante. Elle se pose désormais dans des débats publics. Malgré cette "tolérance" le pouvoir utilise la répression. Après une intervention dans une salle de cinéma à Alger, l’étudiant et chanteur kabyle Ferhat Mehenni est arrêté pour la première fois par la Sécurité militaire. Ces interventions ont sans doute permis aux services de sécurité de mettre à jour leurs fichiers concernant les berbéristes et opposants à la politique culturelle du pouvoir. 27 Juin 1976 : "Le peuple algérien se rattache à la patrie arabe, dont il est un élément indissociable" (...)" L’Algérie n’est pas une création récente. Déjà sous Massinissa, fondateur du premier État numide, et de Jugurtha, initiateur de la résistance à l’impérialisme romain, s’était dessiné le cadre géographique et commençait à se forger le caractère national". (...) "A ces deux caractéristiques principales se sont ajoutés progressivement à partir du 7e siècle les autres éléments constitutifs de la Nation Algérienne, à savoir son unité culturelle, linguistique et spirituelle (...)". On peut affirmer, ajoute le texte de la Charte nationale, "que ces différentes périodes de notre histoire ont constitué un creuset où se sont fondus intimement les brassages ethniques, les apports de toutes sortes, comme les créations nouvelles du génie national, tout cela pour aboutir à une expression originale de la personnalité arabo-musulmane de notre peuple...". La politique culturelle s’attellera, selon la Charte, à concrétiser un projet des plus urgents : la généralisation de l’utilisation de la langue arabe qui "est un élément essentiel de l’identité culturelle du peuple algérien. On ne saurait séparer notre personnalité de la langue nationale qui l’exprime. Aussi, l’usage généralisé de la langue arabe, et sa maîtrise en tant qu’instrument fonctionnel, est une des tâches primordiales de la société algérienne au plan de toutes les manifestations de la culture et à celui de l’idéologie socialiste". Le choix de la langue arabe est fait. Il est irréversible. "Il ne s’agit nullement de choisir entre la langue nationale et une langue étrangère. Le problème du choix étant dépassé et irréversible, le débat sur l’arabisation ne peut porter, désormais, que sur le contenu, les moyens, les méthodes, les étapes, la conception générale d’une langue". Tout en dénonçant l’étouffement de la culture algérienne, l’uniformisation, le totalitarisme culturel, le PRS (Parti de la Révolution Socialiste), pour qui la langue arabe doit être la langue nationale, critique sévèrement le pouvoir algérien qui reste silencieux sur la question berbère dans les textes de la Charte nationale de 1976. "Sur la question berbère, la Charte ne dit pas un mot. Voila donc un texte qui se présente comme national et qui évacue complètement un problème auquel sont sensibles des millions d’Algériens. (...) Or la langue berbère existe. C’est la langue maternelle d’une partie des Algériens. Elle doit être reconnue, préservée et développée comme partie intégrante de notre patrimoine national. Son enrichissement, son passage à la forme écrite, son enseignement, sa diffusion doivent être garantis.". Ainsi le PRS, avec à sa tête Mohamed Boudiaf, est le premier parti politique algérien à se prononcer en faveur de la question berbère. 27 Juin 1976 : Ce front n’aura qu’une faible influence en Algérie. Quelques-uns de ses militants seront arrêtés en mars 1980. Été 1976 : Afin de porter le coup de grâce à l’édition berbère en Algérie, le Fichier de Documentation Berbère (F.D.B) tenu depuis 1946 par le Père Jean Marie Dallet est mis sous scellés par le pouvoir de Boumediene. Ce Fichier est considéré comme source exceptionnelle de documents concernant l’étude de l’histoire, de l’ethnographie, de la littérature, de la linguistique des communautés berbérophones de Kabylie, du Mzab et de Ouargla. Ce fichier était au début un périodique mensuel, puis bimestriel, pour devenir à partir de 1955 trimestriel. On y trouve des monographies de villages de Kabylie, des études sur l’Islam, les croyances et superstitions, la sagesse populaire, la vie quotidienne, la zoologie, la botanique et la culture matérielle.. 19 Juin 1977 : La retransmission en direct de cette rencontre à des milliers de téléspectateurs révèle au peuple algérien l’expression d’un mécontentement et d’une contestation ouverte et radicale d’une population d’une région du pays, qui souffre d’une marginalisation identitaire et culturelle... Septembre 1977 : Le ministère de l’Enseignement supérieur décide de l’ouverture du centre universitaire de Tizi-Ouzou (C.U.T.O.) où se retrouvent les cadres de la région et qui se mêlent au mouvement estudiantin pour la prise en charge de la revendication identitaire. Le C.U.T.O. verra le regroupement des étudiants kabyles jusque là éparpillés sur divers instituts de la capitale. Ce centre universitaire connaîtra des mouvements de grève non connus à l’époque en Algérie. L’ouverture du CUTO permettra aussi la circulation d’une documentation dite clandestine tels que les ouvrages de l’historien algérien Mohamed Harbi, les revues berbères de l’ACB et de l’Académie berbère, édités en France et diffusés sous le manteau en Algérie. On assiste à l’interdiction par le Wali de plusieurs chanteurs comme Idir, à Tizi-Ouzou sous prétexte d’absence de salle suffisante pour contenir les spectateurs et garantir la sécurité. Novembre 1977 : 28 Novembre 1978 : 10 Décembre 1978 : En réalité cette affaire est connue dès le départ par la Sécurité militaire qui avait infiltré le groupe contestataire composé de personnalités historiques, comme Mohamed Benyahia, Ferhat Abbas, Belarbi, Boudjeloud, Ahmed Kadri. Ils seront traduits en justice à l’exception de Ferhat Abbas. Ils seront condamnés par le tribunal militaire de Blida à des peines allant jusqu’à 12 ans de prison. Cette affaire est exploitée par le pouvoir pour discréditer les berbéristes, qui n’avaient aucune relation avec celle-ci. Il montre du doigt le "danger berbériste" en des termes à peine voilés, ces "anti-nationalistes, soutiens du Maroc et du néocolonialisme". 25 Décembre 1978 : Le chanteur populaire kabyle Lounis Ait Menguellet est interdit de se produire à l’Université. Mars 1979 : Interdiction au Centre universitaire de Tizi-Ouzou d’une pièce de théâtre, adaptation en kabyle de la guerre de 2000 ans de Kateb Yacine. Des demandes successives d’enseignement du berbère à Alger, puis à Tizi-Ouzou, tour à tour, sont rejetées sans aucun motif explicite. 17 Octobre - 13 Novembre 1979 : Crédits : © Extraits de "Chronologie du mouvement berbère, un combat et des hommes" de Ali Guenoun paru aux éditions Casbah Alger, 1999
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