Le football est conjoncturellement un autre opium des peuples. Même sil ne provoque pas encore de guerre entre pays, il les y incite comme cest le cas actuellement entre lEgypte et lAlgérie.
Le match retour Egypte-Algérie pour la qualification au mondial 2010, à la surprise générale, a engendré une crise politique inattendue et sans précédent entre les deux Etats. Pendant que, depuis plus dun mois, la déferlante médiatique égyptienne apporte chaque jour son lot dinsultes et dinvectives suivies de mesures officielles de rétorsion contre les Algériens, les autorités de ces derniers font le dos rond, adoptent une sorte de profil bas et appellent toujours au calme au nom de la fraternité arabe. Scandalisée par tant de mollesse et de lâcheté de ses gouvernants, piquée dans son honneur, la presse algérienne dite libre ne cesse de sinterroger sur leur mutisme et particulièrement sur le silence coupable du premier dentre eux, Bouteflika.
Or, sil fallait quelquun pour défendre lhonneur des Algériens contre la montée hystérique en force des médias égyptiens, il ne faut surtout pas compter sur le pouvoir dAlger, qui cherche, à la différence de lEgypte, à calmer le jeu. Bouteflika ne voulait instrumentaliser les Verts quà travers une sorte de mise en scène par laquelle il sattirerait la sympathie de leurs centaines de milliers de supporteurs.
Pourtant, ce silence étrange des autorités algériennes sexplique par des raisons toutes simples. A la base, il y a chez elles un grand complexe dinfériorité qui les tétanise devant cette Egypte.qui était jusque-là leur point cardinal. Elles sont encore tellement en adoration devant les Egyptiens quils ne trouvent ni armes ni intérêt à sattaquer ou, tout au moins, à répondre aux attaques avilissantes du « grand frère ».
Lanalyse la plus plausible de cette attitude est celle qui mettrait en avant la relation incestueuse entre le clan dOujda, toujours au pouvoir en Algérie, et sa mère-patrie idéologique, lEgypte, et ce, depuis Gamal Abdel Nasser des années 50. Ce Clan est lui-même une pure fabrication des laboratoires égyptiens qui lont instrumentalisé pour lextension de lhégémonie nassérienne sur le « monde arabe » auquel fut ainsi annexée lAfrique du Nord. Aussitôt commença à déferler sur notre sous-continent le panarabisme au nom de la « oumma-el-ârabiya », cette expression si courante et si chère dans la bouche du Raïs. Bien entendu, lAfrique du Nord nétait quun appoint politique pour faire pencher la balance des rapports de force proche-orientaux en faveur de Nasser. Lhistoire égypto-algérienne a retenu à tort le soutien de Gamal Abdel Nasser à la « révolution algérienne », autrement dit au FLN de la guerre dindépendance. En réalité, la délégation étrangère basée au Caire nétait acceptée que dans la mesure où elle permettait à lEgypte dêtre plus informée des luttes intestines des dirigeants du FLN pour mieux les accentuer en sa faveur. Pour cela, elle nhésita pas à pousser ses pions parmi eux à liquider leurs adversaires. Le Caire a ainsi une implication directe ou indirecte dans plusieurs assassinats politiques dont celui dAbane Ramdane. Pour sen convaincre, il ny a quà lire les mémoires de Fethi Dib, bras droit de Nasser et chef des « Moukhabarates », publiées chez lHarmattan, à Paris. Son poulain favori était Ben Bella, tête de file du Clan dOujda dont Bouteflika est aujourdhui le parrain. Cette histoire a également été manipulée pour lui faire dire une contrevérité : LEgypte na jamais été le premier pays à avoir reconnu lindépendance de lAlgérie, ce mérite revient en réalité à
Israël. Cest en apprenant cette nouvelle que Nasser sétait dépêché denvoyer son communiqué en le faisant passer pour antérieur à celui dIsraël.
Par ailleurs, lEgypte de son côté, et à cause de cet ascendant pris très tôt sur le Clan dOujda, avait de tout temps considéré lAlgérie comme relevant de sa politique intérieure. Elle avait toujours pris lAlgérie pour une de ses provinces, voire pour une de ses colonies. Elle ne sattendait pas à ce que le nègre se permette de botter le derrière du Maître, y compris sur le plan sportif. Visiblement, elle croyait quà la suite de lagression préméditée contre le bus transportant les joueurs algériens, ceux-ci allaient perdre et le match qualificatif et leur honneur. « Ad rzen deg sen tissas » comme on le dit si bien en Kabyle.
Le silence du pouvoir algérien observé depuis un mois et les déclarations mi-figues mi-raisins de son chef de la diplomatie sont globalement la marque des faibles. Cest lattitude dun enfant au bord des larmes devant son père ou sa mère qui le gronde. Lidée de croiser le fer avec lun ou lautre le tétanise. Il nira donc pas vers le clash. Ce conflit est dans toute sa manifestation celui dun dipe non assumé, un dipe castré.
Le pouvoir incarné par Bouteflika nentretient de rivalité vive et manifeste quenvers ses voisins. Il nira donc jamais titiller un pays arabe du Moyen-Orient sur quelque sujet que ce soit. Devant son manque de courage à défendre, face à lEgypte, lhonneur bafoué des Algériens, cest la rue qui sen est chargée, et particulièrement la rue kabyle.
Bouteflika, même après la démonstration de son incompétence et de sa lâcheté dans cette affaire dont il aurait tant aimé faire léconomie, espère toujours sadjuger les dividendes dune victoire sportive à laquelle il na participé ni de près ni de loin. Cest le propre des prédateurs et des charognards, comme les hyènes, que de se tenir à lécart des combats à mort, de ne pas risquer sa vie et dattendre tranquillement que le travail soit terminé par plus vaillant queux pour leur subtiliser le trophée.
Lautre angle déclairage de cette affaire est celui de la lutte entre deux hommes pour la commission dun contrat de vente darmes par la société américaine Lockheed à lAlgérie. Cette information a été publiée par la revue égyptienne « Inqad Misr ». Elle nous informe que cétait le fils du Raïs Moubarak qui devait au départ empocher une commission de quelques millions de dollars US. Il était jusque-là, le VRP de la dite compagnie. Au final ce fut le frère du président algérien, Saïd pour ne pas le nommer, qui rafla la mise. Ce serait donc Ala Moubarak, en voyant la commission lui passer sous le nez, le bonbon enlevé de sa bouche, qui aurait préparé, pour se venger, lagression contre le bus transportant les joueurs algériens à leur arrivée au Caire ! Le football ne serait donc quun moyen au service dun règlement de comptes mesquin et bassement mercantile entre familles présidentielles, égyptienne dun côté et algérienne de lautre. Le choc entre deux pays, nétait au départ quune escarmouche entre deux individus cupides et aux égos démesurés. Cest davantage à la psychanalyse quil y a lieu de confier lexplication de ce phénomène quà la politique.
En prenant les aspects monstrueux dune affaire dEtat, des deux côtés de la Lybie, télévisions, radios et presse écrite sont mises au service de délires nationaux comme seul le fascisme sait en produire. Médias et oppositions que pourtant Egypte et Algérie tentent de réduire à de vulgaires faire-valoir des régimes en place, sont tous mobilisés pour un seul objectif : Empester lair de macabres et nauséabonds relents de nationalisme. Celui-ci dont les fonds de culotte étaient naguère usés jusquà la peau des fesses a miraculeusement ressurgi de ses basses fosses, le temps dune illusion, dune erreur, dune griserie, dune folie collectives ! Ce délire des rues va servir de sève nourricière à deux régimes politiques aux abois. Cependant, à la première défaite de lAlgérie au Mondial, les choses vont prendre une toute autre tournure.
Côté algérien, les citoyens seront moralement de nouveau abattus, regagnés par le fatalisme, la peur et la résignation, tout comme leur quotidien reprenant sa fadeur sera dangereusement et étroitement encadré par les militaires et les terroristes islamistes. Les jeunes vont se livrer un peu plus à la drogue, la boisson et autres fléaux. Le désespoir qui va semparer deux leur fera miroiter encore une fois une lueur despoir dans des barques de fortune au moyen desquelles ils seront plus nombreux quauparavant à tenter de gagner un rivage de fortune, pourvu quil soit européen, quittes à servir de repas aux poissons.
Côté égyptien, la colère daujourdhui va céder la place à une explosion de joie. La défaite de lAlgérie sera la victoire de lEgypte. Allah sera invoqué pour louer la sanction divine infligée aux Algériens pour venger laffront dune déculottée sportive égyptienne osée contre les « vrais musulmans et les vrais Arabes » quils ne sont pas !
Quelques mois plus tard, les deux pouvoirs vont se remettre aux embrassades et à la coopération économique et culturelle tous azimuts, pendant que leurs peuples reprendront leur vie de misère et de répression.
La fraternité interarabe sera plus valorisée que jamais et ce seront les Kabyles qui, comme dhabitude, se réveilleront avec la gueule de bois en découvrant une fois trop tard que dans toute cette affaire, ils étaient les seuls dindons de la farce. Pourquoi ? Parce quils oublient souvent quils sont lennemi commun des deux pouvoirs, hier comme aujourdhui.
La Kabylie comme ennemi commun, depuis Abane Ramdane.
Tout commença en 1956, par la délégation du FLN établie au Caire. Nul ne peut passer sous silence le rôle joué par lEgypte pour sassurer la docilité de quelques dirigeants de la guerre de libération. Ainsi, lhistoire aura retenu que Gamal Abdel Nasser avait interdit à ses adeptes algériens dont Ben Bella qui, laisse-t-on dire, allait devenir son gendre, de participer au Congrès de la Soummam. Daprès le Pr Belaid Abane, « Le projet soummamien initié par Abane était algérien, citoyen et politique ».. Abane pensait ériger un Etat algérien, Nasser le voulait arabe pour quil lui soit inféodé. Ainsi, en établissant « le principe de primauté de lintérieur sur lextérieur » lartisan dIfri contrariait les visées nassériennes.
Aujourdhui, limplication des services égyptiens dans lassassinat de Abane nest plus à démontrer. Pourtant ce dernier, tout en étant un Kabyle de Larvâa Nat Yiraten, refusait de mettre en avant sa kabylité, au nom de son algérianisme. Pire ! Il était parmi ceux qui avaient signé une lettre collective ordonnant à la Fédération FLN de France, la « liquidation » entre autres des « berbéristes » de son temps. Malgré son algérianité qui phagocytait sa kabylité, il était probablement à cause des deux, trop gênant pour le projet panarabe du Raïs. Nasser lui préféra Ben Bella, lactuel soutien et ami de Bouteflika.
Lidée dune armée des frontières trouva très vite ses adeptes parmi les membres de la délégation FLN du Caire. Une fois mise sur pied, elle adopta déjà la stratégie des hyènes. Elle ne devait pas avoir pour mission de venir en renfort à celle de lintérieur mais dattendre la fin de la guerre pour rentrer en force et confisquer lindépendance de lAlgérie pour laquelle la Kabylie allait payer le prix le lus fort. Les récents déballages sous forme de règlement de comptes entre ex-dignitaires du régime, Chadli et Nezzar, en ont révélé quelques épisodes. Cest au sein de cette armée des frontières que naquit ce Clan dOujda qui a gardé de lépisode Abane la haine du Kabyle.
Depuis 1956, le plan des Egyptiens avait fonctionné de bout en bout. Ils croyaient en récolter les fruits pour léternité. Cétait le cas jusquà ce 8 novembre 2009 où, au détour dune vulgaire commission dun marché, suivie dun match de football, tout se retrouve en ruines. Le château de cartes navait pas résisté au souffle momentané des passions. Serait-ce définitif ?
Il est difficile de croire aujourdhui que la mainmise égyptienne sur lAlgérie serait derrière nous. Ni les prises de pouvoir en Algérie par la force de Ben Bella à Bouteflika, ni les hordes islamistes dont se débarrassait lEgypte en nous les envoyant comme des enseignants ayant fini par engendrer les scieurs de poteaux électriques, le FIS, les GIA, le GSPC et lAQMI, ni les navets cinématographiques sous forme de sitcoms qui ont pollué le petit écran algérien et la tête de générations de femmes algériennes incultes pendant près de cinquante ans, ne survivraient à ce coup de tonnerre dans un ciel serein ? Allons donc ! Les dirigeants algériens se nourrissent trop du rêve égyptien pour soupçonner un revirement de leur part. Ils en sont prisonniers pour toujours. Ils sont incapables dautonomie vis-à-vis de leur parent, voire de leur parrain, égyptien. LEgypte est leur principale matrice idéologique.
Un clash avec elle remettrait à lordre du jour la question fondamentale de lidentité algérienne. Cela risquerait de mettre fin à une idéologie politique qui reste le seul fondement du pouvoir illégitime dAlger.
Cest pourquoi, entre autres raisons, dans tout ce capharnaüm, Bouteflika et ses ouailles baissent léchine et sont prêts à tous les sacrifices, à commencer par la dignité et lhonneur des Algériens. Mais en plus et surtout, brouiller ses rapports avec lEgypte risquerait de donner raison au combat du MAK en faveur de la Kabylie. Lautonomie de cette région est comprise par eux comme une remise en cause des fondements-mêmes du régime despotique algérien.
Amnay Ait Ifilkou (Kabylie)
Ferhat Mehenni (France)