En 2011, la République algérienne a connu à l’instar des autres pays de l’Afrique du Nord, une mobilisation sociale dont la revendication a été rapidement contournée par la manne pétrolière contrôlée par le régime de Bouteflika. Le régime de Bouteflika a su réduire la contestation à un simple désenchantement social exacerbé par la relative cherté des prix de quelques denrées de base. Ainsi, malgré la forte mobilisation algérienne pendant la vague salvatrice de Printemps Démocratique, qui a secoué les pays de la rive Sud de la Méditerranée, le slogan : « A bas la dictature, vive le peuple» a dû attendre encore deux mandats de même régime avant de se remettre au goût de jour dans la rue algérienne. Cette stratégie de contournement de régime vis-à-vis de la rue a fait sa preuve ; entre février et mars 2011, les efforts d’assimilation de la mouvance, incarnés notamment par des mesures de ‘containment’ et d’achat de la paix sociale, en accordant un pot de vin de 5 milliards de dollars, à la subvention publique de pouvoir d’achat et d’autres mesures de redistribution d’une partie de la rente pétrolière comme l’atténuation de la pression fiscale sur les petits commerçants asphyxiés par les poursuites. Egalement, le facteur historique des années 1990 a servi lui aussi ces manœuvres d’assimilation du régime Bouteflika ; la rue Algérienne hantée par le spectre de la décennie noire et ses arbitraires, était forcée à faire avec cette réponse économique proposée, jugée comme « la meilleure des pires» jusqu’à un nouvel ordre.
I- Le 22 février 2019 : une dynamique pour la politisation du politique :
Sur le plan conceptuel, le choix de « Politique » pour qualifier l’actuelle dynamique est dicté par la particularité de Contexte et des motivations qui ont structuré l’exigence purement Politique de cette dynamique : l’obligation de «Départ du Système Politique et non de régime gouvernant seulement ». Outre, cette mobilisation garde la singularité de transcender les autres cas régionaux de revendication, celle-ci n’a pas inspiré sa plate-forme revendicative de la condition socioéconomique ou des clivages idéologiques classiques, mais plutôt du sentiment d’humiliation et de mépris ressenti par la majorité de peuple algérien, suite à la candidature controversée de A. Bouteflika aux présidentielles d’Avril 2019, sachant que des informations non contredites jusque là, circulent dans les médias algériens et étrangers font état d’invalidité physique et mentale de Bouteflika. Partant d’un tel argumentaire, assimiler cette dynamique aux autres mobilisations socioéconomiques et socio-identitaires, serait une approche méthodologiquement hâtive et politiquement contestable.
Dans son combat de légitimation du politique, l’actuelle mobilisation semble être déterminée à opérer le changement, en optant pour le modèle de l’école transitologique de la Rupture , un tel choix trouve son affirmation dans le refus catégorique de composer avec aucun élément faisant partie de d’un ordre constitutionnel, qui a atteint- selon ce nouveau Acteur Non Etatique : la rue- ses limites les plus extrêmes d’illégitimité, en tentant de faire élire à nouveau, une personne prise en otage par ses affidés. Il est à noter que la réponse de la mobilisation aux différentes offres de transition« Inside system » proposées par le chef des Armées G.Saleh, nous présente une illustration édifiante de l’attachement de ce nouveau acteur mobilisateur (la rue) au changement de toute la configuration politique actuelle (Irou7ou ga3 a scandé la rue à l’algérienne).
Le Système politique algérien…l’opposition de régime …Dégage :
Afin de mieux comprendre la portée de l’actuelle dynamique, nous avons jugé utile de commencer par questionner la nature de système politique algérien, à la lumière des rapports entre ses différents acteurs institutionnels et civils (présidence, échiquier politique, médias, presse, syndicats, société civile, etc.).
La littérature en droit constitutionnel définit le régime totalitaire comme étant : tout système de gouvernement où le conflit est étouffé par le régime en place. Un tel système donne lieu généralement à des pratiques de verrouillage, d’uniformisation et de centrage de pouvoir représentatif entre les mains d’une formation de régulation politique, de type Parti-Etat.
Quant au régime autoritaire, il entend tout système dont l’exercice du pouvoir politique tend à contourner le conflit. Ce type de régime use généralement d’une sorte de « démocrature » ; c’est-à-dire une démocratie affichée et une dictature masquée. Ainsi, la pratique de gouvernement se fait par le biais des règles d’une démocratie de façade et truquée, avec des institutions sans pouvoir, des mandataires en rupture totale avec leurs mandants et bases, des consultations électorales régulières sans véritables enjeux, une censure massive exercée sur les médias et l’absence d’une véritable liberté de la presse, etc.
Eu égard à ces deux définitions, nous pouvons dire que le régime politique Algérien est un régime autoritaire, qui porte en lui les germes de totalitarisme ; la répression de l’opposition pendant la décennie noire, l’emprisonnement arbitraire des leaders de Front Islamique de Salut (FIS) et la mainmise de Parti-Etat FLN sur le paysage politique. Son positionnement dans la scène politique algérienne est à l’image de celui du parti communiste chinois, de Parti Baate en Syrie et de Parti des Travailleurs nord Coréen. Il domine tout en faisant recours à des pratiques dépolitisées, au nom de commun historique de tous les algériens ; comme celles le présentant comme formation des martyrs et des Combattants « Moujahidines ».
Sur le plan institutionnel, selon l’architecture énoncée dans la constitution algérienne révisée en 2016, le régime politique algérien est un régime présidentiel, où le président règne et gouverne. Le président est assisté par un gouvernement et un parlement nommé Conseil Populaire. L’essentiel du pouvoir législatif est monopolisé par le Parti de Front de Libération Nationale et quelques petits partis annexés sous forme d’une coalition truquée (FLN, RND, RCD). Quant à l’échiquier politique, il se caractérise par l’existence de plus de 30 formations politiques, dans le cadre d’un multipartisme de façade. D’ailleurs, la rupture constatée entre le pouvoir algérien et le peuple a atteint des niveaux inquiétants, à tel point où le peuple a catégoriquement rejeté toute initiative conciliante avec des composantes appartenant à l’architecture institutionnelle configurée depuis des décennies par l’armée et ses collaborateurs. A ce titre, l’initiative de ‘bons offices’ initiée ou sollicitée au Diplomate Lakhder Ibrahimi, a sacrifié toute la crédibilité, que cet ancien fonctionnaire international a pu gagner de sa longue carrière diplomatique au sein de l’organisation onusienne face aux petits enfants méprisés de Dihya. Cette regrettable issue de la sortie d’Ibrahimi nous informe aussi sur l’importance que revêt le système actuel pour le régime, qui reste prêt à tout sacrifier pour le maintenir, y compris la stature et la réputation internationale d’un Diplomate ! Mais vainement cette fois-ci.
La position radicale de la rue peut s’expliquer par le verrouillage total de l’échiquier politique, avec des pratiques dépolitisées de manipulation parmi les plus sophistiqués dans le monde, via notamment l’invention d’une nouvelle marque politique appelée : l’opposition de régime Bouteflika /et non/ au régime Bouteflika. Tout cela dans une république, dont le préambule de la constitution se déclare celui d’une république : « Démocratique et Populaire »paradoxalement !
2- Quelle démarche transitionnelle pour l’Algérie ?
1-Un contexte politique en gestation :
Le fait politique en Algérie fait état d’un jeu intense des acteurs, qu’on peut décrypter comme suit :
1- Une mobilisation anti-système massive, régulière et de plus en plus fédératrice de la société algérienne depuis le 22 Février 2019 ( la Rue) ;
2- Les communiqués « présidentiels » informant le peuple de report des élections et de retrait de la candidature de Bouteflika , le même président, dont la date butoir du mandant est prévue le 28 Avril 2019, a proposé aussi une feuille de route, sous forme d’un débat national sur la transition, présidé par Lakhder Ibrahimi (Cabinet de président) ;
3- Le Peuple algérien a interagi avec une intensification de la mobilisation, avec l’adhésion de plusieurs formations et corps professionnels sensibles : les magistrats, les journalistes, les avocats, le personnel des entreprise pétrolières, etc.
4- 4 communiqués de chef de l’institution militaire algérienne. Il salue le civisme de la mobilisation, affirme le rôle constitutionnel de l’ANP comme garant de la Patrie et finit par entrer de plein fouet dans la contingence politique actuelle, en saisissant le Conseil Constitutionnel, afin d’annoncer l’Etat d’Invalidité de Président Bouteflika, sans la moindre considération de la constitution algérienne et de prétendu apolitisme de l’institution militaire. (Armée Nationale Populaire : acteur de substitution au 1er Acteur, Bouteflika qui semble désormais mis à l’écart) ;
5- Malgré la saisine de Conseil Constitutionnel par l’armée, au sujet de l’invocation de l’Article 102 de la Constitution, en annonçant l’Etat d’invalidité de Bouteflika, le premier garde son silence. Une telle position, reflète le tiraillement et les divergences au sein de camp de Bouteflika.
Partant des tractations politiques en cours Algérie, force est de constater que : primo, le camp de rejet de l’actuelle configuration politique se renforce de plus en plus. Secundo, le reste des acteurs de camp de régime (armée, FLN et les autres partis de la majorité) s’acharnent eux aussi à se ressaisir dans le nouveau contexte post 22 Février 2019, à la lumière aussi bien, des exigences conjoncturelles de la gestation en cours que des diktats des alliés étrangers ; la Russie et la France Pour l’armée, la France et les Etats Unis pour quelques dirigeants du Cabinet présidentiel d’Elmouradiya.
Il est à noter aussi que les différentes prises de position de l’Armée, ne peuvent confirmer qu’une seule vérité, celle de sa proximité pour ne pas dire sa régulation de champ politique algérien post1962. Toutefois, aucune analyse politique exhaustive de la donne politique actuelle ne peut ignorer le pragmatisme et la retenue de la réponse politisée (non brutale) de l’armée et à laquelle revient le mérite de rassurer et d’éloigner le spectre de l’approche sécuritaire à l’encontre de peuple algérien, qui s’est trouvé pour la première fois débridé et libéré des cauchemars de la décennie noire.
2-Mise en perspective de la dynamique d’Algérie : quel schéma de changement ?
A l’approche de la fin du mandat présidentiel de Bouteflika, le besoin à un processus transitionnel est plus que jamais urgent. Ce dernier peut être initié par le biais d’une assemblée constituante, à laquelle incombera la tâche d’élection d’un conseil de transition pour une durée n’excédant pas 6 mois. Cette instance de transition doit faire l’émanation d’un compromis stratégique entre les différentes sensibilités politiques et civiles algériennes, y compris l’armée et les composantes de l’actuel régime. Une telle approche inclusive dans le processus de transition démocratique, garantira l’adhésion positive au projet de transition et minimisera le rôle des forces réfractaires au changement. Cette transition mènera à terme à la consolidation de l’institutionnalisation et la politisation du pouvoir politique, qui impliquera obligatoirement le retour des généraux à leur milieu naturel, les casernes et l’instauration des jalons d’un véritable Etat Algérien Démocratique, à la hauteur des légitimes aspirations du peuple et de la diaspora algériens. Quant au meilleur régime démocratique transposable en Algérie, le peuple algérien demeure le seule acteur, qui a l’unique pouvoir originaire de choisir le régime qu’il veut pour l’Algérie de demain, qu’il soit Républicain ou Monarchique-parlementaire ou Fédéral à l’allemande ou à l’américaine.
Quant au système partisan transitionnel, la dissolution de parti FLN, comme formation de domination politique (manifestation de parti unique masqué) est d’une importance capitale pour le processus de rationalisation du politique en Algérie. Cette mesure d’accompagnement de la transition, facilitera en effet l’opération de décomposition et de recomposition de l’échiquier politique et s’alignera en droite ligne avec le chantier de renouveau démocratique, prônant le pluralisme et la saine concurrence politiques entre de véritables programmes et projets de société en Algérie.
Finalement, en guise de mise en perspective de l’actuelle gestation politique, sans précédant, force est de dire que le régime en place, soutenu par ses alliés étrangers tentent de se réinventer son rôle à l’aune des exigences citoyennes exprimées le 22 Février 2019 et confirmées par plus de 6 référendums populaires à ciel ouvert par des millions d’algériens, en interne comme à l’international ; notamment à Paris, Ottawa, Washington, Madrid, Berlin et Bruxelles.
Ecrit le 31 Mars 2019
Les commentaires : Important :Prière de noter que les commentaires des lecteurs
représentent les points de vue de leur auteurs et non pas d’AmazighWorld; et
doivent respecter la déontologie,
ne pas dépasser 6 à 10 lignes,
critiquer les idées et non pas les personnes, êtres constructifs et non déstructifs et dans le vif du sujet.