Une délégation rifaine formé par Mr. Rachid RAHA, président de la Fondation « Montgomery Hart » des Etudes Amazighs et membre du Comité des Etudes sur l’utilisation des armes chimiques au Rif et Mr. Mohamed CHAMI, président de la Confédération des Associations Culturelles Amazighs du Maroc, Hassan El Abbas, Ahmed Zahid, Norredine Hathout et Mohamed El Hafi, ont été reçu hier et aujourd’hui au Parlement espagnol respectivement par les députés catalans Rosa Maria BONAS I PAHISA et Joan TARDA qui les ont informé de l’actualité de la question de l’utilisation des armes de destruction massives au Rif par les troupes coloniales espagnoles et que demain mercredi, 12 février 2007, leur proposition non de loi de la reconnaissance des responsabilités de l’Etat espagnol et réparation des dommages consécutifs à l’usage de cet armement chimique dans le Rif va être discuté par « las cortes españolas » (le Parlement espagnol).
Ci joins ici la traduction en français de texte de la dite proposition (et une photo lorsque la proposition a été déposé au Parlement en juillet 2005 avec les drapeaux catalan et amazigh) :
AU CONGRES DES DEPUTES.
Le Groupe Parlementaire Esquerra Republicana, à l’initiative du député JOAN TARDA i COMA et de la députée ROSA MARIA BONAS i PAHISSA, sur la base des dispositions des articles 193 et suivants du Règlement de la chambre, présente la suivante PROPOSITION NON DE LOI de reconnaissance des responsabilités de l’Etat espagnol et réparation des dommages consécutifs à l’usage d’armement chimique dans le Rif pour débat en Commission.
EXPOSITION DE MOTIFS :
L’Etat espagnol, au début du XXe siècle fut le protagoniste d’une guerre d’agression contre la population rifaine sans distinction de son caractère militaire ou civil, utilisant systématiquement dès l’an 1921, comme vengeance en raison du désastre d’Annoual, des armes non conventionnelles prohibées en vertu des Conventions de la Haye de 1899 et 1907, ratifiées en 1919 à Versailles. De surcroît, en 1925, en pleine offensive militaire avec armement chimique, l’Espagne, qui avait souscrit aux accords de Versailles, adhéra au Protocole de Genève sur la prohibition des armes chimiques et bactériologiques.
Ces dernières années, des études espagnoles dédiées à la recherche historique, comme celles de Juan Pando, Maria Rosa De Madariaga, Carlos Lazaro et Angel Vinas, en utilisant les sources documentaires des Archives militaires espagnoles, ont confirmé l’emploi de ces armes par l’armée espagnole dans le nord du Maroc durant la période comprise entre 1921 et 1927 avec la volonté d’en finir avec le mouvement indépendantiste rifain mené par Abdelkrim.
Les conclusions de ces études avaient déjà été avancées par les chercheurs allemands Rudibert Kunz et Rolf-Dieter Müller dans leur œuvre « Giftgas gegen Abdelkrim. Deutschland, Spanien und der Gastrieg in Spanisch-Marokko 1922-1927 » [Gaz toxique contre Abdelkrim. L’Allemagne, l’Espagne et la guerre du gaz dans le Maroc espagnol“], édité à Fribourg en 1990.
Par ailleurs, ces études ont été confirmées par l’historien britannique Sebastian Balfour de la London School of Economics, dans l’œuvre « Deadly embrace. De la guerre coloniale à la guerre civile en Espagne et au Maroc (1909-1939) » éditée à Barcelone en 2002. Cet historien a pu rencontrer des survivants, comme Mohamed Faradji, qui se souvient très bien de ces bombes appelées « arhaaj », c’est à dire « poison » en langue rifaine, lancées depuis des avions sur les villages du Rif.
Les officiers de l’armée espagnole appelaient ces armes « bombes X » ou « bombes spéciales », produites avec divers produits tels que le phosgène, le diphosgène, la chloropicrine et surtout l’ypérite, connue aussi sous le nom de gaz moutarde. Les quantités utilisée sont difficiles à calculer. Si les chercheurs allemands avancent un stock de plus de 400 tonnes, l’historienne Maria Rosa De Madariaga affirme que « pour savoir exactement combien de bombes toxiques ont été larguées, il faudrait consulter, un à un minutieusement, dans les Archives Générales Militaires de Madrid, tous les avis de lancement de bombes par l’artillerie et l’aviation de 1923 à 1927 ».
La première attaque chimique réalisée au moyen de pièces d’artillerie se fit en novembre 1921 avec phosgène, mais cela ne fut utilisé massivement qu’à partir de juillet 1923 durant la bataille de Tizi Azza du territoire des Aït Touzine. L’historien britannique Balfour, dans sa minutieuse recherche et consultation des archives militaires, confirme que ces armes prohibées de destruction massive furent employées lors d’attaques aériennes dans les lieux des plus peuplés et dans les moments et jours de forte agglomération comme les souks hebdomadaires (marchés commerciaux qui avaient lieu un jour par semaine) afin de provoquer le plus de dommages possible dans la population civile. Selon le Maréchal Louis-Hubert Lyautey, première autorité dans le Maroc français, les bombardements depuis les avions « ont gravement endommagé les villages rebelles, usant avec fréquence des bombes lacrymogènes et asphyxiantes qui causaient des ravages au sein de la population pacifique,… », ce qui fit que « (…) grand nombre de femmes et enfants arrivèrent à Tanger pour recevoir des traitements médicaux ». D’autres témoignages confirment la véracité de ces terribles faits : H. Pughes Lloyd, un officier britannique, a remis un rapport, daté de janvier 1926, à son ministre de la Guerre dans lequel, par référence aux victimes des bombardements, il se disait : « Plusieurs d’entre eux moururent et un grand nombre se rendirent en des secteurs moins belliqueux, avec l’espoir de recevoir un traitement. Ils étaient, surtout, à moitié aveugles ou avaient les poumons très affectés ».
Cette stratégie militaire avait l’aval du propre roi d’Espagne Alfonso XIII, qui en diverses occasions manifesta son intérêt pour les armes chimiques. Aujourd’hui, les œuvres publiées permettent de connaître une partie de ses opinions comme des conversations télégraphiques avec le haut commissaire du territoire dans laquelle il se lamente de ce que « on n’a pas pu t’envoyer une escadrille de bombardiers, pour porter la désolation avec des gaz au camp rifain et leur faire sentir notre force, rapidement et dans leur territoire ». Ou bien, lorsqu’il affirme en audience concédée à l’attaché militaire français à Madrid que « ce qui est important c’est d’exterminer, comme il se fait avec les mauvaises bêtes, aux Aït Wariaghel (la tribu du Rif central de la province d’Al-Hoceima à laquelle appartenait le leader rifain Abdelkrim) et les tribus les plus proches d’Abdelkrim », laissant de côté les considérations humaines à tel point que les autorités coloniales prohibèrent l’intervention de la Croix Rouge pour secourir les populations civiles dans ce conflit.
Les armes en question, en un premier temps, furent acquises auprès d’autres Etats, principalement en Allemagne. Nonobstant, immédiatement, il se procéda à l’installation de dépendances industrielles capables de les produire. Concrètement, en deux centres, l’un d’entre eux installé à Melilla et l’autre, grâce à un accord signé avec l’Etat allemand, en 1923, installé à la Maraňosa, sous le nom de Fabrique Nationale de la Maraňosa, mais connue populairement sous le nom de la « fabrique de Alfonso XIII », compte tenu de l’appui décidé de ce monarque à l’usage des armes chimiques.
Ces armes chimiques, prohibées par le droit international, eurent des conséquences désastreuses : cécité, brûlures, problèmes respiratoires et cancers. Ces préjudices aujourd’hui encore sont perceptibles chez les descendants en raison du caractère cancérigène et mutagène de ces armes. En effet, le Rif, l’unique territoire où furent employés ces gaz toxiques, est actuellement la région avec le plus haut pourcentage de malades de tumeurs cancérigènes dans tout le Maroc.
Considérant que l’usage des armes chimiques par l’Espagne contre le Rif et contre ses habitants constitue un Crime contre l’Humanité qui n’a été réparé, que le souvenir d’un tel affront a été maintenu vif jusqu’aujourd’hui dans la mémoire historique du peuple rifain, pouvant également prévoir objectivement la constatation de graves dommages moraux, économiques et sanitaires, occasionnés aux contemporains des attaques et à leurs descendants, et afin de réparer les dommages subis et réconcilier les peuples qui un jour se virent affrontés dans une guerre coloniale dirigée par une armée expansionniste et un régime monarchique qui soutenait un régime dictatorial.
Considérant que la société espagnole actuelle bénéficie de suffisante maturité et de culture démocratique comme pour agir afin de reconnaître des faits délibérément oubliés, condition indispensable pour pouvoir mener à terme une véritable et sincère révision de son histoire avec la finalité de renforcer les valeurs démocratiques des nouvelles générations.
Considérant nécessaire de renforcer et d’engager, aujourd’hui plus que jamais, les actions des démocrates en faveur de la solidarité internationale et de la fraternité entre les peuples.
PROPOSITION NON DE LOI
Le Congrès des Députés prie instamment le gouvernement espagnol de :
1. Reconnaître la responsabilité de l’Etat espagnol pour les actions militaires menées par l’armée espagnole contre la population civile du Rif par ordre de son autorité suprême, le roi Alfonso XIII, durant les années 1921-1927.
2. Engager l’organisation et la célébration d’actes de réconciliation, de fraternité et de solidarité avec les victimes, leurs descendants et l’ensemble de la citoyenneté rifaine, comme forme d’expression de la demande de pardon par l’Etat espagnol.
3. Faciliter le travail de recherche des historiens et de tous ceux intéressés par l’approfondissement de la connaissance des faits historiques au moyen de la consultation des archives militaires.
4. Procéder à la révision des annotations, références et chapitres relatifs aux campagnes militaires menées à terme par l’armée espagnole contenues dans les musées, monuments, casernes militaires, livres, manuels militaires, etc, qui occultent l’usage d’armes chimiques et/ou tronquent la vérité historique.
5. Appuyer les associations culturelles, académiques et scientifiques espagnoles et marocaines dédiés au travail de recherche sur les effets et conséquences de l’emploi des armes chimiques dans le Rif.
6. Assumer les possibles compensations économiques de caractère individuel qui pourraient être réclamées pour les préjudices subis.
7. Contribuer, dans cadre de la coopération hispano-marocaine, à la réparation des dommages collectifs et à la compensation de la dette historique à travers une réactivation et la multiplication de plans de coopération économique et sociale dirigés à l’ensemble du territoire du Rif, et spécialement aux provinces de Nador et d’Al-Hoceima.
8. Doter les hôpitaux du Rif, et spécialement ceux des provinces de Nador et d’Al-Hoceima, d’unités sanitaires spécialisés dans le traitement oncologique qui contribuent à minorer les hauts pourcentages de maladies cancérigènes.
Palais du Congrès des Députés, 28 juillet 2005.
Rosa Maria Bonàs i Pahissa, Députée, et Joan Tardà i Coma (0034660943044), porte-parole du Groupe Parlementaire Esquerra Republicana de Catalunya (ERC).