« Tous pour Tanger » , c' est le slogan qui a marqué la 9ème édition du festival national du film à Tanger, du 18 au 27 octobre. Vingt-huit courts métrages et vingt-cinq longs métrages « marocains » étaient en compétition. En réalité, les faits ont encore confirmé que le développement et la promotion du cinéma (véritablement) marocain ne font toujours pas partie des priorités du gouvernement de Rabat. Permettons-nous, nous aussi, de tourner la manivelle et de dresser un bilan de ce festival « cinématographique ». Action!
Le choix de la ville n'est pas innocent puisque Tanger fait partie de la liste des candidats à l'organisation de l'exposition universelle de 2012. En effet, cette 9e édition s'est distinguée par une gigantesque opération séduction, regroupant les forces du tissu associatif tangérois, des autorités politiques et divers organismes professionnels. Objectif principal : valoriser tous les atouts de la ville du Détroit. D'ailleurs, le slogan officiel « Tous pour Tanger » était affiché dans tous les recoins de la ville. Ainsi, Khalid Naciri, le nouveau ministre de la Communication, et Touria Jabrane, la nouvelle "ministre" de la Culture, n'ont pas hésité à répondre présent. Et, bien sûr, à encenser le cinéma « marocain » devant toutes les caméras présentes.
Lorsqu'on fait son cinéma
Cependant, selon les images des chaînes de télévision marocaines, le FNF ressemblait plus à un défilé d'Arabo-andalous plutôt qu'à un festival cinématographique. D'ailleurs, un article de presse du Sud Quotidien en a fait une description intéressante. Lisons : « Le cinéma somptueux fait de grands costumes, de palais andalous, de tissus soyeux, de musique de cour conduite par le luth, de raffinement jusque dans les gestes et les postures. » L'organisateur de ce festival n'est autre que Nourredine Stail, directeur du Centre Cinématographique Marocain ( CCM ) dont nous avons déjà critiqué les méthodes de financement de la production cinématographique.
À rappeler que plus de trente millions de dirhams sont dédiés à la promotion du cinéma. M. Stail a affirmé, de surcroît, qu'une révision en hausse ( 50 millions de dirhams ) est prévue en 2008. En d'autres termes, on fait la promotion, comme toujours, du cinéma arabe avec l'argent des Amazighs! Il faut savoir que le cinéma marocain est réduit, sans cesse, au cinéma arabe et que le cinéma amazigh, n'a qu'une portion congrue et encore. La preuve : un seul film amazigh a été sélectionné par les jurys. Il s'agit de "Tilila" de Mohamed Mernich, unique cinéaste amazigh à avoir eu la chance inouïe d'être soutenu financièrement par le CCM, lors de la dernière commission du Fonds d'aide à la production cinématographique. En outre, le plan classique adopté par tous les organisateurs de festivals cinématographiques marocains est de choisir un ou deux Amazighs comme membres du jury. Pour qu'ils amusent la galerie probablement. Rien de plus.
Malgré quelques imperfections et de maigres moyens, les films amazighs s'arrachent comme des petits pains. Et c' est là un paradoxe qui doit sûrement déstabiliser les autorités et son idéologie. Avec presque rien comme moyen, la petite association Issni N' Ourgh avait organisé, en mars dernier, le festival du film amazigh à Agadir. Ainsi, une caravane cinématographique a sillonné le Souss, en passant par les villages les plus reculés de la région. En fait, cette toute première édition a eu un succès fou. Avec rien comme budget, elle a drainé une foule immense qui doit faire pâlir d'envie Stial & Co. Le CCM, avec des millions de dirhams et le soutien total de l'État, n'a fait que faire fuir les cinéphiles. Le festival de Tanger a été boudé par le public. Totalement. L'on ne peut pas attirer des investisseurs étrangers à Tanger sur la base de mensonges et de supercheries. En plus d'être l'abri des candidats à l'immigration clandestine, Tanger est une ville amazighe du Rif et ce festival arabo-oriental a essayé de camoufler cette vérité évidente. Vainement. Les organisateurs feraient mieux d'apprendre à jouer les acteurs !
Vive les faux-fuyants !
Le festival achevé, un journaliste a demandé à M. Stail de présenter les raisons qui expliquent que les Marocains boudent les salles de cinéma. Censé être le directeur du CCM et, donc, connaître le monde du cinéma marocain par coeur, M. Stail a répondu « Je crois que le public ne se rend plus au cinéma d'abord parce que les salles ne garantissent plus de bonnes conditions. Ensuite on sait que chaque Marocain peut visionner chez lui, en plus des DVD piratés, toute une panoplie de films diffusés par les chaînes satellitaires. ». Très peu de Marocains regardent les films auxquels fait référence le spécialiste du cinéma… arabe. Celui-ci préfère pointer du doigt l'attitude des consommateurs de films piratés et les mauvaises organisation et gestion des salles de cinéma.***
Cependant, en plus de l'inexistence de salles de cinéma dans certaines villes, le problème se trouve plutôt dans la sélection idéologique des films, souvent produits au Moyen-Orient ou en Occident. Les films africains, et donc typiquement marocains, sont mis à l'écart ou inexistants. Cela veut tout simplement signifier que les Marocains sont contraints de pirater les films marocains dont la commercialisation, faute de moyens, n'est pas généralisée. Puisqu'ils rejettent catégoriquement les films réalisés par les cinéastes arabistes soutenus par le Makhzen. Et il s'agit là d'un rejet on ne peut plus naturel. Que ce Stail et ses amis programment davantage de films amazighs dans leurs festivals et ils verront !
Effectivement, quand on impose à un peuple une identité qu'il ne veut pas faire sienne, il faut s'attendre à ce que la stratégie de destruction massive de cette identité échoue. Complètement. Dans le cas du cinéma, ce sont les Marocains eux-mêmes qui contrecarrent la politique d' arabisation du Makhzen. En piratant, par ricochet, les films typiquement marocains. On peut donc en conclure une chose et le régime marocain devra bien l' accepter un jour : le peuple marocain a soif d'authenticité. Soif de savoir qui il est vraiment donc soif d' amazighité, de son amazighité. Que M. Stail vienne voir comment le film amazigh se vend en France ! Pour conclure, et ironie du sort, le long-métrage « Coeurs brisés » réalisé par Ahmed Maânouni a remporté le grand prix du festival « national » du film. Un film qui se focalise, justement, sur le thème de la « déchirure identitaire ».... C'est plus que révélateur !
*** http://www.lematin.ma/Actualite/Journal/Article.asp?idr=115&id=521
Le journal, Le Matin, porte-parole du makhzen, développe le même avis que M. Stail. On recherche les raisons du " dépeuplement " des salles des cinéma alors qu' elles sont évidentes. Les salles de cinémas se vident parce que les Marocains en ont assez de se voir contraints de regarder tous ces films moyen-orientaux qui ne reflètent en rien leur culture. Inutile de rejetter la responsabilité sur le piratage de DVD ou le manque de sérieux des autorités locales. La responsabilité appartient au régime marocain seul, qui veut, à tout prix, faire du Maroc le pays d' Aladdin. Mais en vain.