
M. Akounad est lun des romanciers amazighs les plus doués et les plus prolixes. En digne fils du Souss, il a plus quà cur de voir, un jour, le tamazight devenir une langue respectée et respectable. Pour ce faire, il ny a pas vraiment de miracle. Il faut y écrire et y produire. Ce quil na de cesse de faire. Auteur de plusieurs ouvrages (romans et nouvelles), quil a toujours publiés à compte dauteur, nous lavons rencontré pour nous parler de son parcours atypique de militant et de créateur amazighs. Réalisé à la base en tamazight, voici le résultat de notre entretien. Le tout bien évidemment traduit un peu vite- dans la langue de Molière.
Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?
Je suis né en 1950 à Id Ou Gilloul à Ihahan. Lune des plus grandes confédérations tribales du Souss se situant entre Agadir et Mogador (Essaouira). Mais la petite ville, que vous devez certainement connaître, qui est la plus proche de mon village natal, Tighiren, est Tmanar. Comme tous les enfants de mon âge, je suis allé très tôt à la mosquée. Dailleurs, jai appris par cur le Coran en entier six fois de suite. Ensuite, je suis venu à Tmanar où jai accompli mon primaire et une partie de mes études secondaires. En 1965, je suis parti très loin, à Taroudant plus exactement. Et ce, pour poursuivre ma scolarité au fameux Institut islamique de la même ville. Fameux parce que cest de lui que sont sortis de grands militants amazighs dont Ahmed Adgherni, Hassan Id Belkassm et tant dautres.
En quoi consistaient vos études à cet Institut ?
Létude de larabe, les sciences religieuses, la géographie, lhistoire et un tout petit peu de français. Mais la dominante reste larabe et les sciences religieuses (le fiqh, le hadith
).
Vous êtes resté à Taroudant jusquà quelle année ?
Jusquen 1970 exactement. Cette année-là jai réussi le concours daccès à lécole des maîtres. Ma formation, qui a duré toute une année, a eu lieu à Ain Chouk à Casablanca.
Est-ce que vous connaissiez Id Belkassm et Adgherni lorsque vous étiez à Taroudant?
Je les voyais. Mais je ne les connaissais pas personnellement. Même si je connaissais un peu Id Belkassm qui était avec moi à Tmanar. Quant à Adgherni, il était plus âgé que moi. On na jamais eu loccasion de se rencontrer. Car on était très nombreux. Il faut savoir que, à lépoque, il y avait plus de 1200 élèves dans notre établissement.
Où est-ce que vous avez été nommé après avoir eu votre diplôme de maître ?
En premier lieu à Ouarzazate. Ensuite, je suis parti à Romani, aux environs de Rabat. Après Casablanca où je suis resté un peu, jai décidé de passer un autre concours. Et ce, pour devenir professeur du premier cycle. Ce qui fut fait.
Est-ce que vous avez amorcé une réflexion sur la question amazighe à ce moment-là ou non?
En fait, il ny avait pas encore un mouvement culturel amazigh dans le sens où on lentend aujourdhui. Mais il y a autre chose : pendant toute ma scolarité, lusage du tamazight allait de soi. Que ce soit entre nous, les élèves, ou avec le corps enseignant. Bien plus, lorsque jétais encore à la mosquée, jai récrit en entier le fameux ouvrage en tamazight dAwzal, lOcéan des larmes. Jen lisais de longs passages à ma mère et à dautres membres de ma famille. Jai également copié un très long texte poétique arabo-amazigh dun certain Ahmed Ou Mohamed Arsmoug et que Mohamed Moustaoui avait déjà publié (al-ourjouha alarabiya alamazighia). Dailleurs, je le connais toujours par cur. En outre, toutes les lettres que jadressais à mes amis, étaient écrites seulement et uniquement en tamazight. En fait, tout au long de ma vie, lécriture et les livres amazighs ont toujours fait partie de mon univers. Mais une réflexion approfondie sur la question amazighe nest venue quaprès coup.
En fait, vous baigniez dans un monde essentiellement amazigh
En effet, je nai jamais ressenti une quelconque discrimination en raison de mon identité. Contrairement à ceux qui ont fait leurs études dans des régions Essaouira par exemple- où le tamazight nest pas forcément parlé. Eux, effectivement, ont eu des problèmes. Pour ma part, pour tout vous dire, je nai jamais rien eu. Peut-être parce que toutes mes fréquentations étaient essentiellement amazighes.
Où est-ce que vous avez été nommé après votre diplôme de professeur de premier cycle ?
À Marrakech où je suis resté pendant deux années. Ensuite, je suis parti à la région de Beni Mellal pour y exercer pendant deux ans. Ce nest quen 1978 que je me suis installé à Agadir pour travailler dans un collège de la ville. À rappeler que jai eu mon bac en 1974 à titre de candidat libre. Ce qui ma permis de minscrire à la faculté des lettres de Marrakech pour préparer une licence que je nai pu finir quen 1985.
Quel souvenir gardez-vous de votre expérience professionnelle dans les autres régions du Maroc ?
Ce que je ressentais cest que je voyageais dune culture à une autre non seulement au niveau de la langue, mais aussi de la culture dune manière générale. En fait, jai pris conscience de ma différence. Même si je parlais parfaitement larabe. Il faut savoir que la culture amazighe existait, mais elle était considérée comme un tabou. Elle nétait pas un sujet de débat.
Et les vacances
Je me ressourçais allègrement en retrouvant mon Souss natal et mes amis. Dailleurs, à lépoque, on écoutait beaucoup la radio amazighe de Rabat. Je me rappelle dune émission « Ma za tennit ? » (quel est ton avis ?) dun certain Abdellah Nadif qui traitait de la poésie et la musique amazighes. Il avait affirmé une fois quil ny aurait plus un poète aussi doué que Lhaj Belaid. Je lui ai écrit en arabe pour lui rappeler quil ne pouvait pas lire lavenir et faire de telles affirmations. Piqué au vif par mon propos, il ma mis au défi de lui écrire en tamazight. Ce que jai fait. En fait, si lon revient à notre sujet, lamazighité a toujours été présente dans ma vie.
Ce qui nest pas le cas de tous les Amazighs
Absolument. Lorsque je faisais mes études à Casablanca à lécole de formation des maîtres, tout le monde savait que jétais amazigh. Je ne cachais jamais mon identité. En fait, jassumais ce que jétais. Or, ce nest hélas pas le cas de tout le monde. Car, jai découvert au milieu de lannée que je nétais pas le seul amazigh de la classe. Presque la moitié létait aussi. Extrêmement surpris, jai voulu savoir la raison de cette situation pour le moins bizarre. La seule réponse que jai eue : « Nous ne pouvions pas faire comme toi. » Dit autrement, ils étaient très complexés par leur identité.
Avez-vous fait une rencontre que vous pouvez considérer comme déterminante dans votre parcours?
En effet, encore étudiant, en 1968 plus exactement, jai rencontré un homme exceptionnel et professeur de son état. Il va dailleurs publier incessamment un recueil de poésie. Il sagit de Mohamed Essaouiri qui avait une conscience audacieuse et avant-gardiste de lamazighité. Parce quil la posait en termes non pas culturels, mais carrément politiques. Dautant plus quil sinterrogeait systématiquement, ce qui était nouveau pour moi, sur la situation actuelle et le devenir des Amazighs et leur culture. Avec le temps, on entendait ici et là quil y avait un problème politique et culturel amazigh. Mais il ny avait rien dorganisé. En tous les cas, pas à ma connaissance.
Avez-vous participé à la première université dété dAgadir en 1980?
Non, malheureusement. Même si à lépoque jétais à Agadir. Parce que tout simplement je nétais pas au courant. Il faut dire que jétais très occupé : je mapprêtais à convoler en justes noces avec mon épouse. Dailleurs, beaucoup de gens qui savaient que la question amazighe me tenait à cur me lont reproché gentiment. Reste que cette rencontre dAgadir a été une étape extrêmement importante dans le combat amazigh. Pour la première fois de lhistoire, ceux qui se sont toujours intéressés à lamazighité se sont réunis. En fait, ce qui se disait dune manière individuelle, éclatée et désorganisée, luniversité dété dAgadir la rassemblé et la agencé. En dautres termes, elle a été à lorigine de la formulation dun vrai « discours » amazigh parfaitement intelligible tel quon le connaît maintenant.
Et comme le hasard arrange bien les choses, à la même époque, jai rencontré Hassan Id Belkassm. Il mavait informé quil y aurait un magazine amazigh qui va sortir quelque temps après. Cest à ce moment-là que jai eu un échange épistolaire avec lui en tamazight. Ainsi, je me suis rendu compte que la langue amazighe est tout à fait capable dexprimer toutes les situations possibles et imaginables. Et depuis, je nai jamais cessé décrire dans ma langue maternelle.
Après luniversité dété dAgadir, une prise de conscience sest ensuivie
La répression des autorités aussi. Car des écriteaux en tifinagh dans plusieurs hôtels dAgadir (Tamllalt par exemple) ont été tout simplement détruits, larrêt de la revue Amazigh, lemprisonnement pendant plus dune année de Ali Azaykou
Luniversité dété dAgadir frappée dinterdiction. Dailleurs, elle na pu tenir sa 3e rencontre quen 1988. La 2e rencontre, qui devait avoir lieu 1982, ayant été interdite, les militants et les conférenciers amazighs nont pu se réunir, clandestinement, que dans leurs maisons. La situation politique saméliorant, luniversité dété dAgadir a été autorisée en 1988. Ainsi, jai pu y participer.
Beaucoup pensent que lUniversité dété dAgadir a été une révolution, partagez-vous cet avis ?
Assurément. Je ne peux que souscrire à une telle idée. Parce quelle a réussi quelque chose dunique. Comme cétait le cas en 1988, elle a pu rassembler tous les militants et tous les grands chercheurs amazighs ou pas (Chafik, Azaykou, Id Belkassm, Akhiat, Chami, Kadi Keddour, Taifi
) pour discuter de leur existence, leur culture et leur identité. Dailleurs, cest un honneur de participer à ses activités et même de faire partie de son bureau. Cest ce qui ma encouragé, avec nombre de militants amazighs (étudiants et professeurs), à créer une section de lassociation de Tamaynut à Agadir au début des années 90.
Justement, parlez-nous de votre expérience au sein de Tamaynut
En fait, à la différence de luniversité dAgadir où lon parle toutes les langues du monde, nous avons décidé de relever un défi : ne pas utiliser que le tamazight au sein de notre structure associative. Nous avons tenté lexpérience, concluante à plus dun titre, de parler de tamazight en tamazight. Tous nos travaux de création littéraires et artistiques sont rédigés uniquement dans cette langue. En dix ans dexistence, Tamaynut, grâce en grande partie à notre travail à Agadir, est devenu une association connue par son sérieux et sa rigueur. Son succès est tel que dautres sections ont été créées un peu partout au Maroc et même à létranger.
Pour quelle raison avez-vous choisi lécriture comme mode dexpression ? Vous auriez pu faire le choix de la musique par exemple.
En fait, javais toujours écrit, plus souvent en arabe certes, sur les contingences de la vie quotidienne. Jusquà aujourdhui, je garde précieusement tous ces écrits. Quant à lécriture en tamazight, comme je lai dit précédemment, elle faisait partie de mon monde. Ce nétait nullement quelque chose qui métait étranger. Dans le Souss, et depuis des siècles, nous avons toujours eu une tradition scripturaire. Dautant plus que javais toujours écrit mes lettres en tamazight. Une base on ne peut plus solide base était bel et bien là, il fallait juste le petit déclic qui change tout.
Comment motiver les jeunes pour sintéresser à lécriture ? Car il faut reconnaître que les Amazighs ont un gros problème : ils nécrivent pas.
Il me semble que lécriture impressionne beaucoup les Amazighs. Je dirais même quelle leur inspire la crainte. À titre personnel, lorsque jétais enseignant, javais toujours encouragé mes élèves à écrire. Peu importe le sujet. Pour cela, il ne faut pas trop exiger deux. Il faut les laisser faire même lorsquils commettent des fautes. Car, à force, ils saméliorent deux-mêmes. Une fois lécriture leur est familière, le pari est gagné.
Concernant la rareté de décriture chez les Amazighs, jai une hypothèse pour expliquer ce phénomène pour le moins malheureux. En fait, lorsquils sont devenus musulmans, ils ont appris les rudiments de la nouvelle religion dans une langue écrite quils ne connaissaient pas, à savoir larabe. De là, à mon avis, est né le côté mystérieux et sacré de lécriture très visible chez tous les Amazighs. Dailleurs, jusquà présent, lorsque quelquun trouve un papier écrit, il le prend pour le mettre dans un coin écarté. Car lenjamber est un blasphème, un sacrilège même.
Pour ce qui est de lécriture dans notre langue amazighe, daucuns le considèrent comme inutile. Parce quils nont aucune idée de ce que sécrit dans dautres langues. En fait, lignorance explique beaucoup de choses. Entre autres notre sous-développement culturel.
Mais pourquoi écrire en tamazight ?
Si les Amazighs sont dans la situation où ils sont maintenant, cest parce quils nécrivaient dans leur langue. Beaucoup de penseurs amazighs qui ont écrit en arabe ou en dautres langues sont actuellement considérés comme des non-amazighs par nos contradicteurs. Comme Essiouti, Ibn Khaldoun, Ibn Rochd et tant dautres. Il fallait donc ne pas refaire la même erreur. Doù ce mouvement qui a encouragé lécriture en tamazight (Akhiat, Azaykou, Safi Moumen Ali, Id Belkassm
) Pour nous, dans lassociation de Tamaynut, nous avons fait plus : on ne sest pas contenté de lécriture, mais nous avons fait du tamazight une langue de débat, de discussion et de controverse. Dailleurs, lorsque jai commencé en 1993 à faire mes émissions culturelles sur la radio régionale dAgadir, jai essayé de mettre en pratique cette expérience, à savoir mexprimer dans une langue amazighe raffinée et châtiée ( tamazight iqqurn). Chemin faisant, toujours au sein de Tamaynut, nous avons décidé de sintéresser à lécriture romanesque. Beaucoup ont été très enthousiastes à cette idée, mais des années après, il ny a plus que moi qui continue sur ce chemin.
Par quel genre littéraire avez-vous commencé lécriture en tamazight?
La poésie. En tous les cas, tout petit déjà, à la mosquée, jai commencé à lécrire en alphabet arabe. Cest normal, il était le seul que je connaissais. Cela a été ainsi jusquà ce que je rencontre à un membre de lAMREC qui mavait affirmé que le tamazight ne peut exprimer que la poésie. À part cela, il ny a rien. Là, je lui ai dit quil avait tort, car jai justement traduit quelques contes russes en tamazight. Agréablement surpris, il ma demandé de les publier le plus tôt possible. Ce que jai fait. Mais pour réaliser ce travail, jai fait beaucoup defforts. Et à chaque fois que je trouve un mot, une expression ou une formule pour traduire telle ou telle situation, je me rendais compte de limmensité du travail de collecte qui nous attendait. Mais la sortie du dictionnaire arabe/tamazight de Mohamed Chafik ma facilité grandement la tâche.
Pourquoi le choix du roman ?
En fait, ce nest jamais intentionnel. Je commence par une petite idée et elle attire dautres jusquà ce je me trouve avec un très long texte. Dans Tawargit d imikk, je peux vous dire que jai encore des idées que je peux encore y mettre. Il en va de même avec Ijjigen n tidi qui raconte lhistoire du retour dun émigré à son pays natal après des années de labeur en France. Il y a énormément de choses à dire sur ce sujet. Une nouvelle ne pourra jamais contenir toutes les péripéties de cette histoire.
Et laccueil du public ?
Je suis agréablement surpris par laccueil du public. À ce jour, plus de onze études ont été consacrées à mon premier roman, Tawargit d imikk. Il y a même un étudiant qui lui a consacré son mémoire de licence. Cest vous dire. Un ami professeur universitaire à Oujda est venu me dire toute son admiration. Car, daprès lui, il naurait jamais imaginé que la langue amazighe serait aussi expressive. Il a même écrit un article critique là-dessus, mais je ne lai pas encore lu. Au vu de lintérêt manifesté envers mon travail, je peux dire que cest la preuve que les Amazighs lisent dans leur langue. Ce qui est tout simplement inhabituel et prometteur en même temps. En tous les cas, jespère de tout mon cur que tous mes efforts vont libérer les énergies et créeront dautres vocations. Même sil ne faut pas sattendre à gagner de largent.
Quelle est votre position concernant la transcription de la langue amazighe ?
Au risque de me répéter, jai commencé à utiliser lalphabet arabe. Mais jai remarqué que peu de gens me lisaient. Même les Amazighs du Souss qui sy étaient habitués le trouvaient complexe et difficile. Ils ne le reconnaissaient même pas. Dautant plus quil nest nullement adapté à la langue amazighe. Par ailleurs, lorsque jai participé au Congrès mondial amazigh aux Îles Canaries, jai remarqué que mes livres, écrits en alphabet arabe, nintéressaient personne. Et signe du destin, je les ai même perdus là-bas. Une remise en question sest imposée à moi. Jai alors décidé décrire en alphabet latin. Ma première nouvelle était Gar tagwmat . Et surprise, elle a eu un énorme écho. Positif en plus. Même en Algérie. Dailleurs, jai même eu le 3e prix de Mouloud Mâameri. Pour le tifinagh qui a été officialisé au Maroc avec la création de lIRCAM, je pense quil faudra encore attendre. Peu de gens le connaissent vraiment.
Comment voyez-vous lavenir de la littérature amazighe ?
La littérature amazighe dépend de la situation de la langue amazighe. Elles sont très liées. Cest vrai que nous avons un héritage oral immense, mais peu a été mis sur papier. Il faut dire ce quil y a : nous navons pas hélas aucune stratégie à ce niveau-là. Jusquà présent, nous navons pas encore pris conscience que nous ne pouvons continuer à exister quavec notre propre langue. Il faut impérativement une accumulation de production amazighe qui doit toucher tous les domaines de création : le théâtre, la philosophie, la littérature
Pour ce faire, il faut encourager les nouveaux talents par tous les moyens.