Au lendemain du rejet par le RCD de la prochaine élection
présidentielle, son leader le docteur Saïd Sadi, dans un entretien à TSA ( www.tsa-algerie.com ), revient sur les raisons de cette
décision. Il réitère son appel en faveur d'un changement démocratique
en Algérie et annonce plusieurs initiatives à venir. INTERVIEW
Vous avec décidé de rejeter la prochaine présidentielle. Ce rejet, Dr
Sadi, est-il motivé par le constat d'échec que vous faites de la
décennie de règne de Bouteflika ou en raison du « tournant du 12
novembre » qui a vu « l'enterrement de l'alternance » ?
Les deux. Vous avez suivi les cinq heures de débats du Conseil
National extraordinaire du RCD pendant lesquelles les 403
participants ont tour à tour analysé et dénoncé les deux paramètres :
-dix ans de contre-performances ne peuvent en aucune façon justifier
la prolongation du mandat d'un homme qui avoue lui-même avoir échoué;
- Le coup d'Etat du 12 novembre, qui impose à la nation une
présidence à vie et dépouille le parlement de ses prérogatives, se
décline quotidiennement par des violations de la loi qui ne laissent
place à aucune illusion sur les objectifs de ce scrutin.
-Vous présentez même l'élection comme un cirque pitoyable et
dangereux... Le pire serait-il donc à venir?
Vous aurez remarqué que le RCD ne se contente pas de rejeter le
scrutin. Il décide également de geler ses activités officielles en
tant que parti jusqu'au mois d'avril pour alerter l'opinion nationale
et internationale sur l'asphyxie institutionnelle.
La tentation de tourner en dérision les gesticulations des clientèles
qui se bousculent pour gagner les faveurs d'un monarque non encore
déclaré est effectivement forte. Il reste que la répression et la
corruption qui étouffent toute forme d'expression autonome organisée
ouvrent à nouveau la voie à la radicalité politique qui n'a pas
manqué de s'exprimer dans la rue algérienne lors des dernières
manifestations sur Gaza. D'aucuns annoncent un nouvel octobre 88.
Encore faudrait-il ne pas oublier l'état de délabrement dans lequel
se trouvent aujourd'hui les institutions et la société civile.
Vous êtes, avec l'ancien Président Lamine Zeroual, le deuxième
candidat que beaucoup d'observateurs présentaient comme un sérieux
postulant dont la participation était à même de crédibiliser
l'élection. A votre avis comment ce double retrait va-t-il peser sur
la prochaine élection ?
La plupart des Algériens disent légitimement qu'au-delà de
l'asservissement de l'Etat, cette élection représente l'acte de trop
dans un pays qui a un besoin vital de changement. J'espère que nos
deux désengagements contribueront à redonner espoir aux patriotes qui
ont sauvé l'Algérie pour trouver les convergences qui ouvriront
d'autres perspectives à la nation.
Cela dit, il est important de constater que même les dirigeants
politiques du régime les plus lucides se démarquent et condamnent la
folie despotique actuelle. En la circonstance, et quitte à me
répéter, le défi est de transformer un rejet en projet.
Dans votre intervention de jeudi vous avez dit que : «l'avenir est en
dehors du système, dans une voie qui reste à trouver et qu'il nous
revient de définir avec d'autres partenaires. » Pouvez-vous nous en
dévoiler les grandes orientations ?
Il y a encore des catégories sociales et politiques qui partagent
avec nous un postulat simple : il ne s'agit pas de changer dans le
système mais de changer de système. Une fois ceci établi, il faut de
la concertation pour voir quelles sont les décisions et les actions
qui peuvent freiner et, si possible, arrêter la descente aux enfers
avant de débattre de la façon dont doit être gérée l'urgence politique.
Phase de transition ? Révision de la constitution qui restaure les
libertés et assure les équilibres des pouvoirs?... Toutes les pistes
doivent être explorées dès lors que les partenaires conviennent que
le système politique actuel a vécu. Une donnée de base doit
cependant fonder toute recherche de solution : la sensibilisation et
la mobilisation de la jeunesse.
Un rapprochement, par exemple, avec le FFS ? Quels sont les autres
acteurs que vous souhaiteriez associer à cette démarche ?
S'agissant du FFS, je réitère notre appel à l'union. Il serait temps
que les responsables fassent ce que font, depuis longtemps, les
militants à la base. Pour d'autres acteurs, il ne faut écarter aucune
disponibilité, qu'elle soit individuelle ou organisée dès lors que,
et on n'insistera jamais assez là-dessus, l'on s'émancipe des
affrontements claniques.
L'armée qui est au cur du système et quez vous dites « fragmentée
depuis 2004 », peut elle encore jouer un rôle pour dépasser le
système ?
Oui et ce rôle consisterait à s'interdire d'instrumentaliser des
situations de tensions pour faire dévier ou neutraliser l'entreprise
de rénovation nationale. Il y va de l'intérêt de la nation et de la
stabilité de cette institution qui doit comprendre qu'elle gagnerait à se mettre au service de la République, c'est à dire d'un pouvoir
politique démocratiquement élu. Il s'agirait, en quelque sorte, de
revenir à l'esprit de la Soummam.
Comment interprétez-vous l'attitude de Paris et de Washington ?
Ces deux partenaires, importants pour notre pays, sont inquiets et
réservés. On les comprend.
On a failli oublier l'actualité brûlante. La diplomatie algérienne a
brillé par son absence dans la crise de Gaza. Pourtant l'Etat
palestinien a été proclamé à Alger, un commentaire peut être...
Je me serais autorisé de vous en parler, de toutes façons. L'Algérie
officielle n'est pas seulement restée silencieuse, elle s'est, une
fois de plus, fourvoyée. En recevant au plus haut niveau une faction
palestinienne et en ignorant délibérément les autorités légales du
peuple palestinien que sont l'Ambassade de Palestine à Alger et
l'Autorité palestinienne représentée par Mahmoud Abbas, le pouvoir
algérien a commis une double faute : affaiblir l'autorité
palestinienne en pleine tourmente ; donner des gages au courant
islamiste sur la scène nationale, espérant l'aspirer et l'impliquer
dans sa campagne électorale. Les deux manuvres sont vaines.
La communauté internationale s'oriente vers la consolidation de
l'autorité palestinienne et en tant que patriotes algériens, nous
nous en réjouissons. Au niveau interne, les concessions faites aux
islamistes ont fait long feu puisque les noms et les posters des
dirigeants sont conspués sitôt remarqués par les manifestants.
Mais c'est bien connu, la politique internationale n'est que le
reflet de la politique nationale.