Lahbib Fouad yeschou@hotmail.com
Le Centre Tarik Ibn Zyad pour les études et la recherche a organisé une
conférence-débat le 3 octobre dernier à Rabat sur le thème
de la standardisation de la langue tamazight présenté par le
Professeur Abdellah Bounfour, enseignant à l'Institut National des Langues
Orientales (INALCO) à Paris.
Dans cet article, bien que je ne partage aucune des assertions avancées
par le conférencier, je n'est pas l'intention de revenir sur tout
les points qu'il a soulevé dans son intervention, je souhaite simplement
poser certaines interrogations au sujet de la langue tamazight et de son devenir.
Dès le début de son intervention, Mr. Bounfour a tenu à rappeler
et préciser qu'il va utiliser le qualificatif " berbère " au
lieu de tamazight!! En avançant pour argument, l'usage du mot " berbère " dans
les milieux " scientifiques "!!
La persistance à utiliser la dénomination " berbère " par
le conférencier est perçue par nombreux amazighs comme une volonté de
perpétuer la tradition colonialiste qui, elle même a changé depuis
que Larousse a introduit les mots amazigh et tamazight en 1998 dans son dictionnaire!!
La vraie raison qui pousse Mr. Bounfour à utiliser quand même le
péjoratif " berbère " est le fait que dans son approche
dialectisante, tamazight risque de faire penser au parler du Moyen Atlas marocain.
Et, comme le conférencier appartient sûrement à un autre
accent régional, et qu'il plaide par ailleurs pour le choix d'un " dialecte " pour
référentiel standard, Mr. Bounfour a finalement opté pour
le terme " Berbère " et ce pour dissimuler son approche régionaliste
et dialéctalisante. Pourtant cet amalgame est depuis longtemps dépassé par
le mouvement amazigh ainsi que par l'ensemble des habitants de l'Afrique du Nord!!
Juste après sa précision " berbérisante ", Mr.
Bounfour a donné une définition de la standardisation pour le moins
que l'on puisse dire médiévale et subjective. C'est selon lui " choisir
un référentiel dialectal " qui, par la suite sera généralisé...
Pour illustrer son opinion, il rappelle que la langue française est construite
sur le parler de l'Ile de France imposée aux reste des français!!
Une politique linguistique du moyen âge serait-elle valable encore aujourd'hui?!
En ce domaine, la science et le savoir n'ont pas évolués depuis?!
Le cas du français peut-il être un modèle valable aussi pour
tamazight?! le même modèle qui a imposé l'arabe au détriment
de tamazight en Afrique du Nord!?
Pourtant, le problème n'est pas de choisir et d'imposer un " dialecte " donné aux
reste des imazighen!! Il s'agit bel et bien de la logique la plus adéquate
pour ECRIRE les " dialectes " les plus représentatifs conformément à une
orthographe grammaticale standard et uniforme, partout où tamazight est
parlée. En suite, comme pour toutes les langues, les locuteurs amazighophones
garderaient leurs accents respectifs sans pour autant que l'écrit change
d'une région à une autre.
Un francophone canadien prononce-t-il le français comme à Paris,
aux Antilles ou aux Iles Maurice?? N'est ce pas que c'est l'écrit qui
est commun à toute la communauté francophone??
Comme pour dissimuler le vrai problème que soulève toute standardisation,
Mr. Bounfour, pendant toute son intervention, n'a à aucun moment cité le
mot ECRITURE ni celui de TRANSCRIPTION encore moins celui de GRAPHIE comme s'il
s'agissait de standardiser les réalisations phonétiques dialectales!!
Rien que pour ça, je doute même des compétences de notre " éminent " professeur en
le sujet qu'il a fait semblant de traiter...
C'est par la suite, pendant le débat et en réponse à une
question posée au sujet du " choix " du caractère, que
Mr. le conférencier a avancé une de ses dernières spéculations
en la matière en affirmant: " tamazight peut démocratiquement
s'écrire en trois graphies différentes " en insistant sur
le caractère démocrate des " berbères "!! Avancer
cette absurdité, c'est mépriser et sous-estimer la langue tamazight.
C'est une volonté suspecte de vouloir enfermer tamazight dans ce ghetto
de "
dialecte " impropre à tout enseignement, en se rangeant par ailleurs
aux cotés de ceux qui pensent toujours que les imazighen sont éternellement
incapables de prendre en charge leur culture et le devenir de leur langue!! C'est
d'autant plus aberrant qu'une négligence d'une telle taille est affirmée
par quelqu'un qui se veut " scientifique "!! Comment, lorsque on prétend
analyser les voies de la standardisation de tamazight on n'est même pas
capable de décider de la graphie susceptible de
réaliser cette opération?! Comment est-ce possible d'écrire
une langue en trois différents caractères, si ce n'est insulter
l'intelligence des imazighen et se moquer de leur langue ?!! N'est-ce pas qu'une
langue écrite respecte les normes exigées par sa grammaire qui
dicte son orthographe selon la graphie utilisée?? N'est-ce pas que dans
une langue comme le cas du français les mots tels: " sot, seau, seaux,
sauts, saut... " bien qu'ils se prononcent de la même manière
n'ont de sens que lorsqu'ils sont écrits en graphie latine, et ne peuvent être
déchiffrés que par ceux qui ont appris le français à l'école!!
Amusez-vous à retranscrire ses vocable en graphie arabe ou autre, le résultat
est décidément plus que méprisant vis-à-vis du français!!
Aussi, dès le début de son intervention, Mr. Bounfour a tenu à préciser
qu'il existe plusieurs langues " berbères "!! sans pour autant
en préciser le nombre. Et, tel un Don Quichotte, ne trouvant pour argument
que d'affirmer: " si un chleuh ne comprend pas un habitant de Jerba, c'est
qu'il ne parlent pas la même langue " !! En suivant ce " raisonnement " absurde,
nous en déduisons que: " lorsque un québécois ne comprend
pas les propos d'un malgache c'est qu'ils ne parlent
pas la même langue, quoique qu'ils utilisent le français " !!
Mr. Le professeur! Une même langue est celle régie partout où elle
est parlée par la même grammaire et par un fond lexical commun.
Les réalisations phonétiques régionales ou continentales
ne peuvent rien changer à cette définition. Ainsi, de Tiznit à Zouara,
de Nador à Tamenrasset, de Ifran à Siwa en passant par Tizi Ouzou
et Ghedamaes, imazighen parlent la même langue, elle s'appelle tamazight.
Elle est régie partout par la même grammaire et utilise le même
vocabulaire! Imazighen se comprennent plus au moins entre eux Monsieur!! Et ce
n'est pas parce que vous n'appréciez que tachelhit que vous allez priver
les imazighen d'Agadir ou ceux de Taroudant de communiquer avec leurs frères
de Figuig ou ceux de Batna!! Les moyens de communication modernes - dont internet,
radio et antennes paraboliques -
ainsi que les mouvements et les rencontres entre les populations amazighes ont
démontré l'inter-compréhention entre les imazighen et l'unité de
la langue tamazight.
Que vous l'admettez ou pas, la langue amazighe, tel qu'elle est parlée
au Rif est la même que celle parlée au Souss. Et, ne diffère
de celle des Atlas que par des réalisations phonétiques instables
et fragiles... caduques et négligeables lorsque tamazight sera enseignée en
classe. Au moment où le mouvement amazigh réclame l'enseignement
d'une langue amazighe nationale standard, Mr. Bounfour vient contre toute attente
pour dialectaliser encore plus tamazight, et semer la division entre les locuteurs
d'une même et seule langue, exactement comme faisaient, sinon pire, les éthno-linguistes-colonialistes
fondateurs de son école. De ce fait, notre " éminent " professeur
n'a pas changé d'un iota ce que ses maîtres orientalistes ont écrit
au sujet de tamazight dès les premières années de colonialisme
en Afrique du Nord.
Le conférencier a tout de même proposé de " standardiser
dialecte par dialecte "!! et préconise pour cela un ensemble de " démarches " illustrées
par des " exemples " pour le moins que l'on puisse dire déplacés
et hors sujet. Dans le cas de la terminologie par exemple, il prétend
qu'il faut retenir pour nos dictionnaires les termes " Tatbirt " et " Titbirt ",
malgré leur différence morphologique, car estime-t-il, les deux
termes sont en usage dans la langue parlée !!
Mr. Bounfour ignore peut-être que selon la règle grammaticale retenue
pour la langue standard, une des deux formes citées est forcement erronée.
Et, malgré son usage dans le langage parlé, la forme ne respectant
pas la règle établie, ne doit en aucun cas figurer dans le dictionnaire
que s'il s'agit d'un autre vocable à valeur sémantique différente.
De même, dans le cas du pluriel, le conférencier ne savant vraiment
pas à quel saint se vouer s'interroge: " ... dans le cas du pluriel,
lequel retenir, le pluriel en (awen) ou le pluriel en (en) " ?!
L'on comprend alors pourquoi un agrégé en arabe ne pourra jamais être
utile pour standardiser tamazight. Car, jamais il n'admettra qu'en tamazight,
comme pour toute les langues respectables, c'est l'orthographe d'un substantif
au singulier qui détermine le cas de son pluriel et indique la
prononciation de la désinence qui lui est attribuée.