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ENTRETIEN AVEC SAID SADI ( RCD) / "La sédition est dans le pouvoir".


Date : 2002-04-07

Saïd Sadi explique les raisons du boycott des législatives par le RCD et évoque le redéploiement de son parti sur la scène politique.


Le chef de l'Etat s'est engagé à constitutionnaliser tamazight; le Parlement est convoqué à cet effet. Comment appréciez-vous cette décision ?
L'avancée symbolique pour la réconciliation de l'Algérie avec elle-même est réelle dans cette déclaration. Mais cette avancée aurait été plus crédible si elle avait été annoncée à l'époque où nous disions que nulle nation ne peut se construire sur le reniement et par la mutilation. De plus, en disant vouloir éviter le référendum pour la question amazighe, le chef de l'Etat semble ignorer qu'il est des questions qui sont des droits absolus. A-t-on soumis la langue arabe ou le droit à la vie du citoyen à un quelconque suffrage ?
Aujourd'hui, cette décision, accompagnée d'une répression aussi féroce qu'indigne, porte la marque d'un calcul politique trop évident pour amener un retour au calme. J'ajoute que seul un statut officiel peut engager l'Etat à mettre  en ¦uvre une politique de promotion linguistique. Mais quand nous disons statut officiel, il faut aussi éviter les surenchères qui tendraient à vouloir imposer la langue amazighe à toute la nation. Il s'agit simplement de protéger et de promouvoir cette langue dans ses espaces naturels. Il y a un an, j'étais en Afrique du Sud qui compte onze langues. Toutes sont reconnues et enseignées dans leurs zones respectives. Croyez-moi, la réconciliation qui a été lancée après avoir éliminé l'apartheid et l'unité nationale qui se construit
dans le respect de chacun ont beaucoup plus de chance d'aboutir que chez nous. Mais que voulez-vous, jamais le régime algérien n'a anticipé sur la demande sociale et les intérêts de la nation. N'oublions pas que la pluralité politique et médiatique n'a été admise qu'après octobre 1988. Toutes les évolutions démocratiques ont dû être imposées par la société. Comme vous le voyez, la crise de Kabylie soulève de vrais problèmes nationaux et appelle de vraies solutions. Elle signe l'impasse d'un régime et non la singularité d'une région. 
Y répondre, c'est s'atteler au dépassement d'un système politique archaïque qui a appauvri, endeuillé, discrédité et déstabilisé la nation.
 
Mais les mesures d'apaisement qui ont suivi l'intervention du président de la République n'ont pas réglé la crise en Kabylie. Comment jugez-vous la situation ?
C'est une tragédie. Plus de cent morts et plus de deux mille blessés n'ont pas suffi. Aujourd'hui, les services de sécurité se comportent en corps expéditionnaire. Les tortures, les enlèvements, les violations de domicile et les assassinats continuent cyniquement et dans l'indifférence quasi générale. Même le drame que subit le peuple palestinien est cyniquement récupéré pour servir d'écran médiatique pour occulter cette répression. Pis encore, on entend des voix dans l'opposition se mêler à l'ignominie en accablant, encore plus, les jeunes des archs dont beaucoup vivent dans la clandestinité ou croupissent en prison. Il y a un drame humain qui interpelle la conscience nationale et qui laissera des traces qui seront difficiles à cicatriser. Notre problème immédiat est de soulager les populations en aidant les détenus et en alertant l'opinion internationale sur cette répression aveugle qui endeuille chaque jour d'autres familles. Dans cette grisaille, il y a tout de même une lueur d'espoir. Les appels du pouvoir à la diabolisation et à l'isolement de la Kabylie ne rencontrent pas l'écho escompté dans le pays.

Certains observateurs estiment que votre décision de
quitter le gouvernement résulte justement de la pression de la crise en KabylieŠ
La crise de Kabylie est un élément - le plus apparent et le plus tragique - de la crise nationale. Nous avons toujours dit que ce qui se passe en Kabylie était un concentré de la crise algérienne. Il est important d'y prêter attention. Des gens ont été assassinés, une crise politique, sociale et culturelle s'est installée durablement. On sait comment le pouvoir a réagi. En assimilant cyniquement un mouvement citoyen démocratique à l'insurrection armée du FIS, le pouvoir commet une faute grave.
Le FIS, quel qu'ait pu être son poids, était un parti politique ; violent de surcroît. Le mouvement des archs est une expression politique et sociologique de la population. Un Etat peut avoir quelque légitimité à vouloir neutraliser une organisation insurrectionnelle armée, il n'en a aucune à le faire de la même manière face à un mouvement démocratique et pacifique. Par ailleurs, et sauf à vouloir revenir aux pratiques coloniales des déplacements de populations, on voit mal comment les assassinats et les arrestations «pacifieront» la région. La crise de Kabylie et la réaction du pouvoir étaient déjà, à elles seules, des raisons suffisantes pour sortir d'un gouvernement. Le minimum que puisse faire un parti démocratique, c'est d'être en phase
et solidaire avec les revendications citoyennes dans une telle épreuve. Mais il n'y a pas que cela. Le reste de la décision est motivé par la situation générale qui prévaut dans le pays : reniements de tous les engagements de réformes, violations des droits syndicaux et de la liberté de la presse, loi électorale scélérate inchangée et blocage de la vie politique ont consacré l'impossibilité d'amendement du régime.

Après avoir quitté le gouvernement, le RCD a décidé de boycotter les législatives. Cela signifie-t-il que, définitivement, vous ne croyez plus à la possibilité de changer les équilibres politiques à l'intérieur des institutions ?
Notre retrait a été mûrement réfléchi. En tant que parti, nous avons nos propres objectifs. Mais en tant que formation démocratique, nous sommes aussi investis d'un projet qui dépasse les limites structurelles de notre organisation compte tenu de la gravité de la crise. Cette élection pose de nombreuses interrogations. Une fraude de plus ne peut que précipiter la régression sanglante de la nation. La présence, dans les institutions, d'une formation démocratique peut-elle avoir un sens et est-elle souhaitée ? Le bilan que nous avons fait - au-delà de la fraude qui est consubstantielle au régime - a révélé qu'il n'y a pas d'intention de tolérer la moindre idée démocratique dans le régime. Même si ce n'est pas le moment, il est bon de rappeler quelques faits. Des militants du RCD - avec un certain nombre de leurs camarades - essayent de lancer un syndicat dans le monde universitaire depuis six ans et demi. Ils sont à peu près mille cinq cents, structurés de Annaba à Tlemcen, en passant par Constantine, Sétif, Béjaïa, Tizi Ouzou, Boumerdès, Alger, Bordj Bou Arréridj, Oran et Mostaganem. J'en ai parlé avec Zeroual, Ouyahia et tous les responsables de l'époque. Partant de la  conviction qu'il n'est pas sain que la jeunesse algérienne, notamment universi-taire, soit privée d'un lieu d'animation et d'expression du courant démocratique, j'en ai reparlé avec Bouteflika, Benflis, Zerhouni. Sans suite. Plus de 200 cadres, jeunes retraités pour la plupart, ont décidé de lancer une association appelée Averroès pour animer les grands débats publics sur les chantiers qui attendent la nation. On a refusé d'enregistrer leur dossier en raison du seul fait qu'ils sont supposés être proches du RCD. Une association de femmes, qui regroupe trois cents mères de famille pour prendre en charge les problèmes de la population féminine, a connu le même sort. La menace d'assassinat contre ma personne, les enlèvements et les tortures infligées aux militants du RCD, l'automne dernier, annonçaient les orientations meurtrières d'aujourd'hui. On nous reproche souvent de pratiquer la politique de la chaise vide. Le problème est qu'il n'y a pas de chaise pour les démocrates dans ce système. Il y a une incompétence politique et une fermeture historique à tout projet de rénovation de la part de ce régime. A partir de ce constat, il faut activer dans d'autres espaces et par d'autres formes pour libérer le pays des tutelles claniques.

D'autres formations et personnalités vous emboîtent le pas pour appeler au boycott des élections
L'heure est à l'humilité et à la responsabilité. Peu importe de savoir qui a commencé. Nous sommes de plus en plus nombreux à constater que l'élection du 30 mai n'est qu'une opération de repêchage d'un régime qui a failli en tout et nous sommes aussi d'accord pour dire que le blocage de la mécanique infernale de la fraude ne suffit pas. C'est cela le plus important. Le rejet de ces élections doit déboucher, à terme, sur une alternative viable. Je rappelle que nous avons proposé à la nation, l'été dernier, un Pacte pour la refondation nationale dans lequel étaient définis les règles, les mécanismes et les objectifs d'une transition démocratique destinée à engager le pays dans une nouvelle phase historique. 
Vous semblez faire définitivement le deuil de ce régime que vous connaissez bien pour l'avoir pratiqué de l'intérieur. Pensez-vous aujourd'hui que votre présence au gouvernement a été une erreur ?
Pas du tout ; aujourd'hui, nul ne peut accuser le RCD de précipitation, de légèreté, de surenchère ou de raccourci. Je pense qu'aussi bien l'opinion nationale qu'internationale n'auraient pas compris et auraient même sévèrement jugé le refus du RCD de s'impliquer dans les chantiers qui étaient publiquement annoncés. On aurait accusé les forces de l'opposition démocratique de se réfugier dans «le ministère de la parole» et de fuir leurs responsabilités, même lorsque les conditions de mener à
terme tout ou partie de leurs objectifs étaient réunies. Nous avons intégré le gouvernement en tant que partenaire autour d'un contrat public. Si un des partenaires viole ses engagements, le contrat devient caduc. Il est temps que l'on apprenne à faire de la politique sur la base de rapports horizontaux et pas par dépendance clientéliste.
Et si on dit aujourd'hui «non» aux élections, ce n'est pas sur un coup de tête, ce n'est pas une frustration conjoncturelle, c'est le résultat d'une analyse sereine. Vous conviendrez avec moi qu'en ma-tière de «pratique de l'intérieur», nous avons été plutôt vigilants.

Mais si le RCD, avec le boycott des élections, n'entend pas aujourd'hui mener son combat sur le front institutionnel, sur quel terrain prendra-t-il des initiatives politiques ?
Le boycott des élections n'est pas une finalité. Il faut arriver à élargir au maximum le front du rejet de cette élection. Nous discutons avec toutes celles et tous ceux qui partagent cette analyse. Et ils sont nombreux dans la classe  politique, dans les mouvements syndical et citoyen, etc. Ce boycott ne vaut que s'il débouche sur une gestion politique de l'après-élection. Si on refuse ce scrutin, c'est parce qu'on estime qu'il faut proposer un certain nombre de pistes pour permettre au pays de retrouver les voies sur lesquelles peut se reconstruire son destin. Le front anti-élection devrait mener à ce que j'appel-lerai, pour ma part, une Convention nationale qui, je le précise, ne doit être chapeautée par personne ; l'instance présidentielle ou l'institution militaire n'étant que des parties parmi d'autres. Ces institutions peuvent y participer sans s'ériger en tutelle. La classe politique doit prendre une décision adulte. Notre devoir est de nous réunir autour d'une table et de dresser un vrai bilan. Il faut un cahier des charges pour identifier les grandes urgences et déterminer les énergies à mobiliser. Il faut repérer les forces sociales et politiques capables de respecter les règles du jeu minimales pour proposer une transition démocratique aussi courte que possible. Il faut aussi un timing. A chaque échéance fixée, doit correspondre un bilan public. Enfin, au bout de cette remise en ordre, nous devons aller vers des élections. Mais y aller aujourd'hui, c'est contribuer à faire perdurer la crise.

L'initiative d'une telle convention - qui a un air de déjà-vu - n'est-elle pas utopiste et ne risque-t-elle pas de se heurter à des problèmes de leadership ?
Le caractère récurrent d'une telle proposition peut, en effet, jeter un doute sur les capacités de la classe politique à conduire cette  initiative. Il y a une partie de son inaboutissement, dans le passé récent, qui est de notre fait. Parce que nous n'avons, peut-être, pas su faire mûrir suffisamment le projet. Parce que la culture démocratique, qui suppose un consensus, ne fait pas partie de nos traditions. Parce que les conditions dans lesquelles on se réunit ne sont pas toujours propices à la sérénité des débats ; le pays étant sous tension permanente. Mais il y a aussi le fait que des acteurs politiques qui, formellement, se mettent du côté du changement, n'arrivent pas à se déconnecter d'un certain nombre de cercles de pouvoir qui, eux, n'apparaissent pas, mais veulent toujours avoir des «délégués» du régime dans une dynamique supposée le dépasser. Il faut être clair avec tout le monde, civils et militaires du système notamment. Les civils-alibis ne feront pas  avancer le pays. En même temps, il faut éviter de se laisser tenter par des polémiques visant à régler des comptes. Je me méfie beaucoup des gens qui font dans l'invective trop bruyante, c'est
généralement pour essayer de camoufler un passé trouble ou des tractations qu'on ne veut pas assumer. Il n'y a pas d'autre solution à proposer au pays que le regroupement des forces démocratiques. Mais vous avez raison, les dévoiements sont toujours possibles, les man¦uvriers qui n'ont d'autres rôles que de casser toute alternative sont toujours à l'affût. Il serait quand même criminel que le sang versé, ces derniers mois, en Kabylie notamment ne serve qu'à recycler le «Contrat de Rome» dont on sait qu'il est l'exact contraire de la résistance citoyenne dont se revendique le mouvement de Kabylie. Mais si difficile que soit l'initiative, si parasitée qu'elle puisse être par des forces annexes, nous n'avons pas d'autre choix : il faut avoir l'espoir têtu là-dessus. Le sauvetage de l'Algérie est à ce prix.

Mais le label démocratique, toute la classe politique s'en réclame, y compris le MSP, le FLN et le RND. Quelles seraient les forces auxquelles vous pensez pour aller vers ce groupement ?
Nous avons produit un document qui s'appelle Pacte pour une refondation nationale dans lequel nous n'avons pas seulement proposé des esquisses larges, mais également donné les mécanismes et les règles qui doivent régir ce regroupement. Il ne suffit pas de dire : «Je suis démocrate : point.» Il y a des principes reconnus universellement comme étant des bases minimales de tout projet démocratique. Il faut les énoncer. Celui qui souscrit à ces règles est éligible à la compétition légale dans un cadre républicain. Mais celui qui essaye de donner une interprétation particulière à ces concepts pour leur faire dire autre chose que ce qu'ils signifient dans le monde entier doit être disqualifié. Ces règles existent, on n'a pas à les inventer. Maintenant, si vous me demandez où sont les forces démocratiques, je vous répondrais qu'elles sont partout dans la société algérienne et ce n'est pas là fuir votre question. Si le peuple algérien était effectivement tenté par la perspective intégriste, il y a longtemps que le pays aurait basculé. Peu de nations ont été soumises à autant de malheurs, d'abus, d'errements, de reniements et de violence de la part de leurs dirigeants. Malgré la faim, la maladie, le dénuement et le chômage, le peuple a  résisté. Je ne crois pas à l'idée qui prétend que c'est l'armée, seule, qui a permis  à l'Algérie de rester debout. Si la société n'avait pas été porteuse de l'ambition démocratique,  l'armée elle-même aurait implosé ! Lorsque vous voyez comment le monde  du travail est en train d'essayer de s'extraire de l'appareil de l'UGTA - avec tout le respect et l'amitié qui me lient à certains de ses syndicalistes - cela veut dire qu'il y a des mutations majeures dans la société. Jusqu'à présent, l'UGTA a plus été une organisation de masse qu'un syndicat. On voit de plus en plus de syndicalistes qui veulent donner au monde du travail des matrices modernes et autonomes, où on peut contester, mais aussi construire. C'est cela la culture démocratique. S'il n'y avait pas cette énergie, l'Algérie se serait effondrée. Le patronat algérien s'émancipe progressivement de la logique rentière du régime, lance le débat de la mise à niveau de l'économie nationale sans oublier la couverture sociale. Une telle lucidité autorise bien des espoirs. Pendant que des agents de l'Etat torturent, violent des domiciles, enlèvent des personnes et poussent à l'irréparable en Kabylie, des citoyens luttent pacifiquement depuis une année. C'est quoi cette responsabilité, si ce n'est de la culture démocratique ? La question est de savoir comment se donner un cadre pour canaliser sainement toutes ces potentialités dans un jeu institutionnel libéré des clans qui confisquent l'Etat. 

Le RCD ambitionne-t-il, aujourd'hui, d'être le fédérateur de cette aspiration démocratique ?
Vous évoquez les problèmes de leadership. Chaque responsable peut être sûr de son fait. Mais, j'insiste, l'humilité et la lucidité doivent s'imposer à tous. Cela dit, je pense que le RCD a rendu beaucoup de services à la nation en identifiant les vrais problèmes, en les portant même lorsque, électoralement, ils pouvaient lui être préjudiciables. Nos aînés, à qui il faut savoir gré d'avoir libéré le pays, ont échoué pour une raison très simple. Ils n'ont pas été façonnés dans la culture de la construction. La vie leur a imposé le combat et ils ont toujours besoin d'adversaires
pour exister. Le cas de Bouteflika est caricatural, mais ce n'est pas le seul. Dès qu'il a eu à construire, il ne savait plus quoi faire.  Il fallait qu'il cherche des polémiques avec la presse, l'armée, les partis politiques, etc. A la base, c'est une génération qui a été épuisée par la guerre et qui est incapable de fonctionner en dehors d'un climat de tension, d'adversité et d'intrigues. Ceux parmi eux qui ont des disponibilités à l'écoute et au consensus ont été, hélas, éliminés physiquement ou politiquement. 

Il ne s'agit pas de disqualifier les autres avis, mais l'Algérie d'aujourd'hui, dans ses ambitions, ses cheminements, ses projections, ses anticipations, est pour l'essentiel dans l'espace sociologique représenté par le RCD. Il appartient à chaque acteur politique de comprendre qu'il y a un certain nombre d'événements à l'intérieur et à l'extérieur du pays qui autorisent aujourd'hui des initiatives qui n'étaient peut-être pas mûres il y a  quelque temps. On ne nous impressionnera pas avec le chantage à l'islamisme qui menacerait le pays. Il y a des déclarations qui sont des aveux. Vous savez ce que nous pensons des massacres collectifs. Dès le départ, nous avons dénoncé la responsabilité
des islamistes. Mais cela n'empêche pas un certain nombre d'opérations d'être manipulées. Le dernier attentat de la Grande Poste, si je m'en tiens à une déclaration du ministre de l'Intérieur, n'est condamnable que parce qu'il est imputé à ceux qui «s'opposent aux élections». Dit autrement, cet attentat ne vaut que parce qu'il justifie cette accusation. Le péril islamiste, en tant qu'hypothèque politique, est derrière nous. Malheureusement, le terrorisme, lui, sévira encore à cause des compromissions politiques. Mais, depuis le 11 septembre, nous ne sommes plus seuls face à la menace intégriste. Prenez, par exemple, le cas du Pakistan et de son président. Voilà un militaire qui a fait un putsch, qui était au ban de la communauté internationale. Après le  11 septembre, il a fait effacer une partie de la dette extérieure de son pays. Il a réduit l'influence de partis islamistes autrement plus ancrés dans la société pakistanaise que ne le sont chez nous ces éléments qui nous sont arrivés par la télévision ou l'école. Pervez Musharaf a pu devenir un acteur tout à fait fréquentable de la scène internationale. Quant à nous, nous n'avons pas des
dirigeants sur lesquels le pays peut compter pour construire ou honorer le sacrifice de notre peuple. Est-il impossible de lancer, dans ces conditions, un projet qui rendrait sa place au potentiel démocratique ? Au RCD, nous pensons que cela est possible. Avec le 11 septembre, l'ouverture de l'Algérie, consacrée par l'accord d'association avec l'UE, le régime n'a-t-il pas gagné une légitimité  internationale qui rend plus difficile votre combat ? Il y a deux éléments qui déterminent l'évolution d'un pays : un aspect relevant de la politique intérieure et un autre dépendant des évolutions extérieures. Le désastre interne est connu de tous. Pour l'essentiel et malgré certains risques inhérents à la globalisation, les grands partenaires de l'Algérie sont prêts à une révolution intellectuelle, dans la manière de concevoir de nouvelles relations Nord-Sud. Chaque fois qu'il y a un point d'appui stratégique capable d'être porteur d'une alternative démocratique, la communauté internationale apporte, généralement, son soutien. Mais il ne faut pas lui demander de
faire les choses à notre place. Notre génération est condamnée à faire vite, bien et beaucoup. Faire vite pour créer les conditions pédagogiques, politiques, sociales et culturelles pour nos enfants, afin de faire valoir leurs droits de citoyens et aussi d'accomplir leurs devoirs. Sinon, je crains que l'Algérie n'arrive à un niveau de
délabrement qui soit irréversible. Il y a aussi les dossiers qui ont été abandonnés et qui doivent être exhumés pour être concrétisés. En même temps, je dis qu'il n'y a pas de solution intra-muros à la crise algérienne. Si la Tunisie, l'Algérie et le Maroc n'arrivent pas, à travers de nouvelles classes politiques, à dépasser leurs antagonismes surannés et leurs archaïsmes, ils vont payer lourdement cette tendance à vouloir se glorifier l'un aux dépens de l'autre. J'ai dit aux Marocains : «Votre rénovation politique, si méritoire soit-elle, n'ira pas à terme, si l'Algérie n'arrive pas à retrouver sa stabilité ; il ne sert à rien de souffler sur la braise algérienne.» J'ai dit à nos amis tunisiens : «Votre réussite économique, bien réelle par ailleurs, ne tiendra pas longtemps s'il n'y a pas une synergie démocratique sur toute la scène maghrébine.» L'Algérie, pour sa part, subit le régime des occasions perdues à l'intérieur et à l'extérieur. Ils ont été incapables de protéger Boudiaf, Zeroual n'est pas allé au terme de son mandat. On nous a «expliqué» que Bouteflika est d'une grande compétence puis tout d'un coup, on arrive à la conclusion qu'il ne sied pas aux besoins du pays. On ne peut pas passer son temps à jouer au professeur Nimbus et enregistrer des explosions dans le laboratoire Algérie à chaque fois que l'échec vient sanctionner une opération plus ou moins douteuse. Pour une bonne part, avouons-le, c'est l'instabilité de l'Algérie qui perturbe la scène nord-africaine. La même analyse vaut pour l'association avec l'Union européenne. Les Tunisiens et les Marocains se sont engagés bien avant nous et dans des conditions bien meilleures. Chez nous, il y a cette immaturité qui tend toujours à se présenter à l'autre dans un rapport d'affrontement alors qu'il s'agit d'établir des relations de coopération. Pour revenir à la légitimité internationale, il faut rappeler que l'élément de mesure par excellence est l'implication économique de nos partenaires. A
ce jour et hormis les hydrocarbures, rien de bien concret n'a été enregistré. Les partenaires de l'Algérie savent parfaitement que les dirigeants politiques actuels sont incapables de tenir leurs engagements parce que l'Etat dépend aussi de leurs humeurs.  Ils
connaissent très bien cette forme de culture politique où le subjectif peut prendre, à tout moment, le pas sur les intérêts de l'Etat. Nos partenaires ne sont dupes de rien, mais vous ne pouvez pas leur demander de ne pas composer avec ceux qui leur sont présentés comme les représentants de la nation.


Peut-on déduire que le RCD va désormais coupler à son
programme une thématique de la refondation maghrébine ?
Dans notre projet de Refondation nationale, il y avait l'option d'une remise à niveau de l'espace algérien pour que toutes les dynamiques que l'on peut susciter et organiser servent le peuple et l'Etat. Mais, dans le même temps, on ne peut pas évacuer l'espace nord-africain. C'est un appel de l'Histoire et une exigence politique. Ce sont des paliers qu'il faut construire simultanément. Ce sont des poupées russes qui s'imbriquent
harmonieusement les unes dans les autres. La solution à la crise de Kabylie, si l'on considère celle-ci comme l'un des symptômes de la crise algérienne, travaille aussi pour la stabilité nationale. Mais la stabilité nationale ne fera pas l'économie de la construction d'une Afrique du Nord démocratique. Il est regrettable que des militants, qui ont libéré un territoire et qui se sont battus pour un drapeau, n'arrivent pas à jeter leur regard au-delà de ce pourquoi ils ont sacrifié leur jeunesse. La seule
manière d'honorer dignement ce sacrifice, c'est de parachever ce combat dans des institutions qui doivent être en adéquation avec la réalité sociologique du pays, et surtout en harmonie avec notre environnement régional et international.

Pensez-vous que la vision qu'a l'Etat de cette question peut rejoindre la vôtre ?
L'Etat algérien, tel qu'il apparaît aujourd'hui, est une «quincaillerie de néocolonisés» dont l'objectif est de contrôler la société et non pas de la développer. Les dirigeants sont convaincus que seul le pays qui construit un édifice institutionnel calqué sur celui de la puissance coloniale, est digne d'être une grande nation. Je suis persuadé qu'ils n'ont pas pris le temps de voir que la construction
institutionnelle française n'est ni un étalon ni même la plus répandue en Europe. Le jacobinisme français est une exception européenne. On ne peut pas tenir en suspicion un peuple dont on dit vouloir le bien et on ne peut pas diriger le pays à cinq ou six à
partir d'Alger. La centralisation est le coffre-fort de la corruption. La décentralisation et la régionalisation sont des conditions de la modernisation du pays.

A propos de centralisation, il se trouve que la scène politique est traversée en Kabylie par un courant prônant l'autonomie de la région. Comment se positionne le RCD par rapport à cette problématique ?
La question que je pose est : pourquoi la Kabylie seule ? J'étais à Constantine au mois de février et j'ai vu une cité livrée à la gabegie. On ne peut pas me persuader que dans une ville comme Constantine, il n'y a pas vingt personnes pour diriger une municipalité. Depuis 1997, cette APC a enregistré trois putschs internes. Le dernier en date a vu le fils d'un des élus tuer le responsable financier de l'APC. Ce qui est vrai à Constantine, l'est en Kabylie ou à Oran. Es Senia est un pôle industriel qui
aurait pu être trois ou quatre fois plus important que ce qu'il est aujourd'hui. Pourquoi désinsérer la Kabylie du reste du pays ? Je ne crois pas à l'idée qui consiste à insulariser une attente nationale aussi importante. Dire que l'idée de régionalisation est une demande exclusivement kabyle est non seulement faux, mais dangereux. Je crois à la nation algérienne. Il revient à notre génération, libérée des affrontements, des agressions et des luttes qui ont miné le Mouvement national, de trouver la manière de
reconstruire cette nation. On vient de me dire qu'à Guenzet, dans le Sétifois, les troupes de M. Zerhouni ont fait sortir tous les hommes et les adolescents comme au bon vieux temps de Bigeard pour les agresser et les humilier. Ce genre de traitement vise aussi à singulariser la Kabylie. Quand on a privé le RCD des sièges qu'il a remportés en dehors de la Kabylie - en avril 97 -, cela participait d'une démarche politique bien déterminée. Quand on envisage un Parlement amputé de la représentation de toute une région du pays, c'est que l'irresponsabilité est sans limites. Nous subissons un pouvoir séditieux. La sédition est dans le pouvoir. La régionalisation est, aujourd'hui, un impératif national qui peut libérer le pays du régionalisme des parrains. La solution politique à la crise de la Kabylie implique une refonte politico-administrative pour toute l'Algérie, faute de quoi, la porte est ouverte à toutes les aventures.
Par A. L. et S. B.
(El Watan 7/4/2002)



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