La politique musulmane de la France au XXème siècle.
Une totale plénitude.
Histoire du Maroc ou les interprétations possibles.
Le ralliement. Le Glaoui, mon père.
La prostitution coloniale.
Memmi s n ifesti d awal. six notes d'ouvrages présentés par Mustapha Qadéry
Pascal Le Pautremat, La politique musulmane de la France au XXème siècle. De l'Hexagone aux terres d'Islam. Espoirs, réussites, échecs . Maisonneuve et Larose, Paris, 2003. 565 p. Préface de Ch. R. Ageron.
Voilà un pavé qui grouille de détails et qui va faire le bonheur des chercheurs. Le sujet de l'Islam et des Musulmans étant en vogue, cette recherche tombe à point nommé pour rappeler l'histoire d'un sujet dont les ramifications, sous le feu de l'actualité, connaissent des développements vertigineux. On y découvre un contenu loin des préoccupations d'aujourd'hui, même si celle-ci, à mon avis sont tributaires, entre autre, de celles là. P. Le Pautremat nous relate l'histoire d'un organisme chargé d'une «politique musulmane» dans le contexte colonial français, qui ne l'oublions pas, pouvait se déclarer, à la vielle de premier conflit européen du XX°, une nation musulmane comme le disait le ministres des Colonies devant la Chambre des députés, le 5 avril 1911. Le 25 juin de la même année, un décret a crée la Commission Interministérielle des Affaires Musulmanes (CIAM). Nous voilà au cur du sujet de l'ouvrage. Cette notion de « politique musulmane», on la doit selon l'auteur, à Alfred le Chatelier, militaire de carrière et ancien des «Bureaux Arabes» et des «Affaires indigène» d'Algérie, devenu un éminent savant des choses de l'Islam et des Musulmans. Le chatelier fût aussi le Professeur et créateur de «leur» chaire au Collège de France. Dans un article manifeste publié dans la Revue du Monde Musulman en 1910, il avait exposé l'idée de créer une institution consultative de préparation et de contrôle des questions musulmanes. Grâce aux archives, Le P. Le Pautremat a reconstitué le puzzle de tous ce qui est relatif à cet organisme où le Ministères des Colonies, de l'Intérieur, des Armées, des Affaires Etrangères se sont occupés de ce qui est devenu les Affaires musulmanes de la France. La France musulmane de l'époque comprenait ses colonies au Levant, en Indochine, en Afrique de l'Ouest et en Afrique de Nord. Mais qu'est ce que les Affaires musulmanes ? La politique musulmane de la France se limite principalement à une politique indigène en Afrique du Nord, plus particulièrement en Algérie (p.45). Nous sommes donc fixés qu'il s'agit d'une question des indigènes musulmans d'Algérie, ramenée à cette dimension, elle porte plus sur l'indigène colonisé que sur ses croyances ou les institutions chargées de la gestion des activités collectives des croyants colonisés par la France. Quoi que. Le CIAM va d'abord s'illustrer dans la gestion des Affaires des Musulmans dans l'Armée coloniale française, surtout avec la grande guerre et la propagande islamique de l'axe germano-turc. Après la guerre, il se pencha sur l'islamisme, le panislamisme, le Califat, les Senoussis, les pèlerinages de la Mecque , le droit musulman, l'immigration, la culture, l'enseignement, les hôpitaux, les mosquées et les cafés maures. Le Pautremat relate en détail les différents thèmes et sujets développés par l'organisme on s'appuyant sur toutes les correspondances et rapports relatifs aux différentes décisions. Il a pu suivre et reconstituer le fil des préoccupations politiques relatives aux «questions musulmanes» et leur évolution jusqu'à la seconde guerre. La suite est connue. Le Pautremat termine son magistral travail de fouilles aux relations de la France avec ses musulmans, les pays musulmans, et ses choix face à de «nouvelles menaces».et les échecs de ses relations avec l'Irak et les pays du wahabisme et de l'or noir. Ce qu'on peut résumer dans la fameuse «politique arabe» de Paris, «de Barbès à Bagdad» pour parodier une célèbre formule des années quatre-vingt de J. Berque.
Le Pautremat livre ainsi à la communauté des chercheurs un éclairage des plus instructifs sur une autre dimension des «affaires musulmanes», loin des manuscrits, des traités de jurisprudence, des marabouts, des zaouias, des oulémas et de la chariaâ. Une mention particulière à la bibliographie qui occupe plus 30 p. en plus d'une rapide chronologie, l'auteur a fourni un Glossaire et un Index des noms propres. Ce volet «islamique» de la politique coloniale pourrait éclairer trois autres volets de cette politique, à savoir la politique «arabe», la politique «juive» et la célèbre politique «berbère» sur lesquels de nombreuses fausses idées sont répandues y compris dans le champ savant ! Les autochtones sont, selon les circonstances et des objectifs ou des sujets, des «indigènes», des «Arabes», des «Musulmans», des « Juifs » ou des «Berbères». Curieusement, Imazighen furent les principaux concernés par ses «sobriquets» qui en disent long sur leur situation actuelle résumée souvent dans une «question berbère». Question de sémantique ?
Mohand Akli Hadibi, Wedris. Une totale plénitude. Approche socio-anthroplogique d'un lieu saint en Kabylie , Editions Zyriab, Alger , 2OO2. 319 p. Préface M. Haddab.
L'auteur nous livre un travail qui s'inscrit dans l'observation d'un rituel, mais qui va au-delà pour en déduire les permanences et les changements dans la pratique du culte. La Kabylie avec des stéréotypes et ses images est un territoire où les habitants, se sont caractérisés et se caractérisent encore, par leurs histoires avec les différents pouvoirs qui se sont succédés. Ils résistent et en pleine plénitude. La Timaâmmert (Zaouia) dont nous parle Akli est un exemple de l'un de ses innombrables lieux de l'âme et de la croyance en la divinité, matérialisés dans des lieux où il est propice de se rapprocher de Dieu. Timâammert est avant tout un lieu qui offre aux pèlerins, un espace de pratique collective d'une ensemble de rites religieux composés de prières et de hadra, à l'occasion de certaines fêtes religieuses comme l'Achoura (tâcurt).
Hadibi a observé les rituels qui se déroulent dans l'enceinte de la Zawiya , a reconstitué la biographie à travers l'hagiographie et les légendes de son fondateur Sidi Ahmed Wedris qu'Ibn Khaldoun avait comme maître à Bgaet (Bougie). La Timaâmmert avait ses liens avec la Tariqa Rahmanyia (qui a stimulé la révolte de 1871 en Kabylie), le Réformisme dans sa version algérienne et ses histoires avec l'autorité coloniale française après l'insurrection de 1871 et de 1954. Il a également étudié l'environnement social et tribal de Timaâmmert, les tribus qui se considèrent comme héritières du Saint et qui constituent en même temps ses hôtes et ses clients. Hadibi a inclus dans son livre un corpus des textes de dikr psalmodié à Wedris et offre ainsi un corpus riche en sémantique religieuse en tamazight de Kabylie. Citons parmi ces textes Taqsitt n Sidna Yusef, texte poétique qui fait partie d'un répertoire des histoires des prophètes en tamazight, histoires très connues et diffusées dans les différentes régions d'Afrique du Nord. Ceci confirme, contrairement à de nombreux clichés, que la diffusion des croyances et des savoirs religieux fût l'apanage des acteurs locaux en langue locale, et que la diffusion des pratiques cultuelles repose sur un personnel chargé du culte et de ses rituels, fonctions pour lesquelles des systèmes de rétribution par les tribus sont mis en place en faveur des Taleb, Fqih ou chef de Zawia. Au-delà, les lieux de culte sont par excellence des lieux de bienfaisance et d'aide, de distribution et de redistribution. La Zawiya est un centre du monde, elle joue ses rôles de régulateur de nombreux champs, y compris le trabendo. Les Tolbas continuent à y travailler pour assurer les séances des cultes comme pour la formation des étudiants. Les habitants, y compris les expatriés, continuent à faire leurs pèlerinages, mais les biens fonciers de la Zawiya sont dans un piteux état et ne sont plus pratiquement exploités. A la tentative des autorités coloniales après l'insurrection de 1871 de lui confisquer ces biens fonciers, sans succès, grâce à la mobilisation des tribus qui ont rachetés ses biens, lors de la guerre de libération Wedris a été fermée par l'armée française et transformée en camp militaire. Après l'indépendance elle fut reconstruite par les habitants.
Hadibi par cette étude réactive des débats que de nombreuses plumes considèrent comme tranchés. Le rôle passé et actuel des zaouias est au cur de la problématique développée dans cette recherche. La fonctionnarisation des «pouvoirs» religieux en Afrique du Nord est remise sur la scène, surtout que d'autres recherches (cf. Azaykou) corroborent cette construction dont les développements à venir risquent de perturber les idées dominantes. Hadibi espère par cette recherche qu'il a inscrit dans l'anthropologie religieuse, avoir réussi à étudier un aspect culturel et civilisationnel souvent relégué dans l'oubli et la marginalité par le politique, l'orthodoxie et peut-être le discours savant, mais toujours extrêmement fonctionnel dans le social (p. 290). A mentionner l'annexe qui contient le texte du Kanoun (Règlement) de la zawiya.
Ali sidqi Azaykou, Histoire du Maroc ou les interprétations possibles , Centre Tarik Ibn Zyad, Rabat, 2002, 102 p. en français et 295 p. en arabe. Préface en arabe de A. Toufiq.
Azaykou le grand poète d'expression amazighe qui a quitté la vie récemment, a légué aux chercheurs un ouvrage où il a réuni les différents textes qu'il a publié dans les différentes revues spécialisées de l'Université de Rabat où il a enseigné l'Histoire. Ce livre comporte quatre textes en français consacrés à la discussion des notions comme la siba, la segmentarité, la question généalogique dans l'histoire de l'Afrique du Nord et une discussion autour d'un manuscrit en arabe traduit et publié par Justinard en 1940 et repris par R. Montagne et H. Terrasse. Azaykou avait entrepris l'étude du même manuscrit, dans le cadre de sa recherche doctorale, qu'il a édité (éditions de la Faculté des Lettres, Kénitra, 1992) avec une lecture complète et annotée du texte intitulé Rihlat al-Wafid , connu sous le titre la Rihla du Marabout de Tasaft (XVII°). Sa lecture est différente de celle Justinard, celui-ci s'était même trompé dans le nom de l'auteur du manuscrit. Azaykou grâce à sa recherche sur le terrain, a pu éclairer un épisode clé qui a précédée l'émergence du «caïdalisme» dans la région qui fut le berceau des Almoahades. Ce document relate la destruction d'une Zawiya qui se trouve dans la vallée de Nfis par l'armée de Moulay Ismaïl au début du XVIII°, Zawiya qui se trouve à mis chemin des deux hauts lieux de passages de l'Atlas Central, Tizi n Tichka et Tizi n Test où se développèrent les pouvoirs des caïds Glawi et Goundafi qui entrèrent en scène durant le XIX° et XX° siècles. Vaste reconstitution surtout qu'une récente publication (cf. Glaoui) a révélé l'installation de la famille caïdale guich des Mezzouari à Telouet avec un dahir de Moulay Ismaïl, lieux hautement stratégique qu'ils développèrent en fief. L'approche du terrain pour mieux cerner le manuscrit, initiée dans ce travail par Azaykou offre une démarche où les lieux, les pierres les toponymes et les anthroponymes sont des documents aussi précieux que le manuscrit lui-même. Pour ce genre de manuscrit rédigé en arabe par un lettré de la montagne, Azaykou met en exergue la nécessité de maîtriser la version tachelhit de l'amazigh, non pas comme dialecte de l'émotion seulement comme le croyait Justinard, mais aussi comme langue dont le savoir est fonctionnalisé dans la sémantique et dans l'espace géographique, culturel et social. Langue que l'auteur du manuscrit traduit mentalement, quand, avant de rédiger dans un arabe marocain truffé d'images, de métaphores, d'expressions traduites mentalement avant d'être transcrites. Même des termes en chleuh sont des fois transcris texto avec une vocalisation arabisée. Le manuscrit est en arabe certes, une langue de métier pour le savant, mais il n'est nullement arabe comme le désigne le terme générique des spécialistes.
L'autre partie du livre d'Azaykou est une série de textes rédigés en arabe, et comporte seize articles dont quelques uns ont figuré comme des notices dans le Mémorial du Maroc. Dans cette partie, Azaykou brasse des périodes et des notions comme l'histoire de l'Afrique du Nord au moment de l'arrivée de l'Islam, la question de la généalogie chez Ibn Khaldoun, l'histoire d'une confédération tribale (Wawzgit), la Rihla du Marabout de Tasaft, un regard vers Mokhtar Es-Soussi et une traduction d'un texte de Lucien Fèbvre intitulé Histoire et dialectologie. Il y a également publié des notices sur Tahgwat, Tagouzoult, Aït Iraten les grands leffs qui segmentent les tribus du Sud (Adrar n Dern et Souss Al Adna et Aqsa). Ces noms qui identifient ce que R. Montagne avait détecté sans le formaliser révèlent l'intuition d'un autre chercheur cité par l'auteur, mais non reconnu dans ce registre, Mokhtar Es-Soussi qui avait relaté dans ses écrits l'importance des leffs chez les tribus de la Montagne et de la plaine dans le grand Sud. Une mention spéciale à un article consacré à l'étude d'une demande de fatwa qui date du début du XVII° siècle, demande à laquelle ont répondu cinq éminents jurisconsultes de l'époque dont le célèbre Ahmed Baba Tinbukti, à propos des Inflas, régime local de gouvernement désignés parmi les membres de la tribu, chargés de gérer et de veiller l'ordre collectif. La période, la question et les réponses qu'elle a suscitées, les différentes controverses et contradictions qui traversent les divergences entres les savants qui ont répondu à la missive, chacun dans sa fonction et son contexte ont permis à Azaykou d'aborder un volet de recherche qui a fait couler beaucoup d'encre suspects. La pratique du droit et l'organisation de «la violence légitime» dans les tribus d'Afrique du Nord, thématique qu'on retrouve souvent dans le droit berbère ou encore la justice berbère des périodes coloniales et post-coloniales. A travers l'étude de cette de demande de fatwa, mise au crible par la démarche Azaykou, l'auteur nous offre une nouvelle matière de première main afin que la recherche réexamine une série d'approches sur le passé de l'histoire du Maroc et de l'Afrique du Nord, d'où les Interprétations Possibles de l'histoire initiées par l' Asafu .
Abdessadeq El Glaoui, Le ralliement. Le Glaoui, mon père. Récit et témoignage , Ed. Marsam, Rabat, 2004, 391p.
Qui ne connaît pas le Pacha Glaoui qui fût le seigneur des nombreux récits et auteurs de l'époque coloniale, et qui fut l'idéal type des tyrans et des traîtres dans les récits post-coloniaux ? Son fils Abdessadeq, l'auteur de ce livre, ancien Khalifa judiciaire de son père à Marrakech, réputé depuis l'époque comme proche des «nationalistes» a joué une rôle déterminant dans la conduite de son père vis-à-vis de la question du retour de Ben Youssef sur le trône. C'est l'essence de ce témoignage de première main qui a restitué dans le détail la période 1945 1955, période qui a connu de nombreux événements qui ont précipité l'indépendance du Maroc. Abssadeq fût mêlé de près (aux côtés de son frère Brahim, caïd de Telouat) aux histoires et à la vie de son père, qu'il en présente un portrait saisissant qui sort de l'ordinaire des tableaux idylliques et de racontars diffusés par voie livresque ou de presse.
L'auteur nous livre une vision de l'intérieur de la maison Glaoui, dont on apprend l'émergence dans le Haut Atlas Central à la suite d'un dahir du sultan Moulay Ismaïl. Il nous apprend aussi qu'à l'origine, les Glaoui ont le titre de Mezouar (Premier, Chef), qu'ils s'appellent Mezouari et que c'est ainsi que le Glaoui signait ses papiers et correspondances. Il n'est le Glaoui que pour les écrivains, les autorités et le reste. Il relate la généalogie de la famille qui dispose d'une chajara les remontant aux Omeyyades ( !?), ses ramifications et ses alliances au sein des tribus et du Maghzen. Des Sultans ont eu parmi leurs épouses des filles Mezouari, et les Mezouari se sont toujours mariés chez les dignitaires du Maghzen, à l'image de la propre mère de l'auteur, fille du Grand Vizir El Moqri, épouse de Caïd et ancien Grand Vizir Madani Mezouari, remariée au Pacha Thami devenu chef de «la maison des Glawa» après le décès de son frère. L'auteur s'attarde beaucoup sur la dimension «internationale» du Pacha, de part ses invités de prestige et de marque (les élites françaises, Churchill, les américains de la seconde guerre, Charlie Chaplin
.) comme du côté de ses voyages à travers l'orient (Egypte, la Mecque , Jérusalem) et à travers l'Europe (France et Angleterre). Le Glaoui s'était taillé une réputation de grand seigneur, grand croyant, mélomane, généreux et attentionné, tellement attentionné que ses invités, selon les saison et les occasions, reçoivent le plus infime des gestes qui ont fait sa «science» et son versement dans les murs et les choses de son temps. Le Glaoui ne manquait pas de convoyer les dindes de noël à Winston Churchill en visite à Marrakech, ou d'organiser des grands prix dans son golfe qu'il mettait à disposition, ou encore l'organisation de battues de chasses pour le gotha, le tout ponctué de diffas où les mets, le service et la musique sont dignes des salons de Vienne de la fin du XIX° siècle. Le cur du livre se trouve dans la période charnière où le Glaoui commençait à perdre du terrain face aux nouveaux acteurs de la scène politique marocaine. «Les nationalistes» ont pris sa place dans le Palais et deviennent les alliés du sultan, qui ne manqua pas de déclarer son désir d'émancipation de la tutelle du Protectorat. Pourtant, le Glaoui avait fait le voyage de Tanger avec le sultan, voyage considéré par les historiens comme fondateur d'une nouvelle ligne politique dans la vie marocaine. Abssadeq publie une photo inédite de son père aux côtés du prince Moulay El Hassan lors de cet événement. L'ultime passage réside dans «le ralliement», l'auteur nous rapporte presque au jour le jour, la chronique charnière d'août à novembre 1955, période des pourparlers d'Aix les Bains, le conseil du Trône, le retour de Ben Youcef en France et la déclaration rédigée et lue aux journalistes par Abdessadeq dans l'enceinte du Méchouar, où son père déclare que sans retour de Ben Youcef sur le Trône, point de solution pour le Maroc. Avant de s'éteindre, le dernier grand Mezouari avait participé à la gloire du Trône, comme l'ont fait ces ancêtres à maintes reprises. Les Glaoua ont sauvé Hassan Premier et son armée d'une tempête de neige, ils ont oeuvré pour la destitution de Abdelaziz et son remplacement par, un sultan du Jihad, son frère Abdelhafid. La sédition de 1953 s'inscrit dans cette logique au service du Trône, mais vu le changement et les mutations, on dirait que le Galoui n'avait plus les moyens d'imposer sa volonté. Sa puissance ne lui permis plus de se positionner en tant que force capable d'agir au travers du processus politique émergent. La puissance financière du Pacha a pris le pas sur sa puissance tribale qui avait fait sa force dans le temps. «Dis à ton mari que ce n'est plus l'époque d'Abdelaziz» disait le grand Vizir à sa fille, épouse du Pacha et mère de Abdessadeq. Dans cette phrase de son grand père, l'auteur résume l'histoire de sa famille. Le Glaoui s'est toujours incliné devant les sultans alaouites et c'est à leur services qu'il a consacré sa vie de guerrier, de caïd, de pacha, de conjuré et de rallié.
Témoignage de première main que celui de l'auteur, qui a enrichi son livre avec de nombreux documents en fac-similé, des photos précieuses du Pacha en compagnie des plus prestigieux personnages de son époque. Ce livre comble un vide dans l'histoire de la maison des Glaoua, il offre une matière riche d'informations et de données sur la gloire d'un père qui a façonné une partie du XX° siècle marocain, vu par le fils qui est resté fidèle à la mémoire, et a ainsi rappelé aux chercheurs, que loin des clichés, l'histoire du Protectorat français au Maroc reste à écrire.
Espérons d'autres témoignages sur l'exercice du pouvoir et de ses méthodes dans le «domaine» tribal du Caïd des tribus de la Région de Marrakech et de Warzazat, et du Pacha de la ville de Marrakech, un autre volet sur lequel la mémoire sociale pourrait apporter sa part, ce qui est une autre histoire.
Christelle Taraud, La prostitution coloniale. Algérie, Tunisie, Maroc (1830-1962) , Payot , Paris, 2003, 495 p.
Le plus vieux métier du monde a connu un rapide développement et expansion durant la période coloniale en Afrique du Nord. Les esclaves, les Aâzriat de Chawia et des Ouled Naïl en Algérie, ou encore les Tidgalin et Hajjalat, devenues des chikhates du centre du Maroc, ont fini dans les Bordels Militaires de Campagne (BMC) qui ont accompagné les troupes coloniales d'Alger à Dien Bien Phu, en passant par la le Soudan, la Tunisie , le Maroc et les deux grandes guerres. Elles se sont fixées dans les bordels urbains ou de garnisons à la suite d'arrêtés vizirizels et municipaux, ou des circulaires des généraux commandants des troupes d'occupation. C'est à travers les différentes archives dont relève l'Afrique du Nord en France que cette recherche a été effectuée. Elle doit aussi sa pertinence à l'utilisation d'un fond iconographique, dont la lecture a permis à l'auteure de s'aventurer dans des sujets aussi complexes que le sexe et les pratiques sexuelles, les phantasmes et les diverses constructions de l'orient de la sensualité, où l'Afrique du Nord se trouva par la magie de l'orientalisme comme partie de cet Orient imaginaire. Ces documents iconographiques lui ont servi justement pour la confection d'un autre livre intitulé : Mauresques. Femmes orientales dans la photographie coloniale , 2003.
La recherche de Christelle Taraud nous ramène dans les bas fond de la société et de la décision politique des différentes autorités qui ont eu maille à gérer ce dossier de politique indigène, vital, délicat et juteux. C'est sous le signe de la réglementation que les autorités coloniales s'intéressèrent au dossier pour aboutir à l'hygiène publique, les quartiers réservés et les maisons closes, objets de la première partie. Deux autres parties de ce livre traitent de la marginalité et de la prostitution ainsi que des fantasmes et des réalités.
L'aspect monographique et documentaire de la recherche offre aux chercheurs des différents spécialités, en sciences humaines ou sociales un fond de reconstituons sociologiques sur la société colonisée en Afrique du Nord. Les prostituées et la prostitution peuvent offrir une synthèse sur la clochardisation d'une partie de la société, qui a subi des impacts considérables des différents mutations qui ont bouleversé les différents segments territoriaux et sociaux qui composaient les indigènes de l'époque coloniale. Cela avait démarré sous les hospices de l'armée et les bordels du bled attachés aux bataillons de «la pacification». C'est là un volet de l'histoire qui nécessite une recherche spécialisée et à part entière. Aujourd'hui encore, les Atlas où persistent les casernes connaissent encore les bordels. Taraud pour sa part, nous amène plutôt vers les bordels urbains de Tunis ou d'Alger et surtout de Casablanca et son célèbre Bousbir. Elle relate également un épisode qui mérite d'être mentionné, le scandale de Marrakech (pp. 87-100) où elle relate l'histoire d'un projet émanant de «la politique officielle», qui consistait à la construction d'un quartier réservé aux prostituées en 1930. L'auteure s'est intéressée aux différents acteurs du dossiers sur la base d'un rapport d'une commission d'enquête, mandatée par le Résident, le général Noguès, et a reconstitué l'histoire du scandale à travers les différentes archives de la municipalité de Marrakech, ainsi que les divers correspondances administratives et personnelles relatives au dossier dans les archives de la Résidence. Le Pacha de Marrakech fut impliqué dans le projet, à titre administratif et personnel, aux côtés de hauts responsables à Rabat et à Paris dans la mise en exécution de la politique suivie, et dans l'édification d'une société immobilière créée pour ce projet de quartier réservé. Tous ont usé de leurs pouvoirs respectifs pour faire aboutir le projet porté par un entrepreneur privé avec des fonds publics d'où le scandale et l'enquête. Taraud nous livre également des informations de grand intérêt sur «les nationalistes» de Casablanca et le FLN d'Alger et leurs attitudes face à la prostitution et ses milieux.
Par cette recherche, Taraud met à la disposition des éléments sérieux pour la lecture d'une partie de la politique coloniale française en milieu urbain, l'histoire de la projection orientaliste sur «Les Mauresques» ainsi que sur l'histoire des femmes en Afrique du Nord.
Ahmed Haddachi, Memmi s n ifesti d awal , (enfant du silence est la parole), roman, Imp. Walili, Marrakech, 2002.
Un nouveau genre littéraire commence a émerger au Maroc et dont il faut rendre compte. La littérature marocaine écrite, d'expression amazighe, est en train de faire son chemin grâce à des écrivains qui ont publié à comptes d'auteurs. Si du côté de la poésie qui est passée à l'édition depuis la fin des années quatre vingt l'accumulation commence a être signifiante, la prose commence à peine à émerger. Après Askkif n inzaden (soupe aux poils) de Ali Ikken, Imula n tmktit (ombre de mémoire) d'Afulay, Ticri n tama n tsarrawt (le pied de la guillotine) de Bouzaggou, Tawargit d imik (rêve et un peu) de Akunad, Haddachi nous livre ce roman qu'on a choisi pour illustrer cette littérature montante. Récemment (2006) Lhoussain Azergui a publié de son côté Aghrum n Ihaqqarn (Pains des corbeaux).
La littérature existe chez Imazighen depuis la nuit des temps, célèbre pour son oralité, ca ne l'a pas empêché de garder en mémoire des récits très anciens, transmis de génération en génération. Il suffit de lire les Métamorphoses d'Appulé (IV° siècle) pour s'en rendre compte. Haddachi dans ce roman a justement fonctionnalisé un héritage oral qu'il a exploité pour construire son récit présenté sous forme de dialogues, du début jusqu'à la fin. Ses personnages sont directement issus des contes traditionnels. En plus, il leur a gardé leur portraits et leur images comme ils sont véhiculés dans les contes. Toute l'histoire est un dialogue entre Asklu (Arbre), Iselli (Pierre), Acal (Terre), Aghyul (Ane), Agdede (Oiseau), Asif (Rivière), Anzar (Pluie), Aslem (Poisson), Tifighra (Vipère) et Insi (Hérisson) sur un inconu et les catastrophes qu'il s'inflige sur terre. C'est un roman écologique à priori, sauf que les personnages sont porteurs de sens, et que l'absence, parmi les personnages, du célèbre Chacal (Uccen) qui constitue le principal personnage des contes en tamazight est significative. C'est probablement de lui, l'absent, que parlaient les autres personnages sélectionnés avec soins. Chacal ce symbole de Tihrci ambiguë, pour reprendre le concept de Tassadit Yacine sur «la ruse» des dominés , est un peu le portrait de l'Homme dans sa relation avec lui-même et avec l'espace. Le roman commence par une information relatée par l'arbre (ce n'est pas un hasard) qui se demandait, comment l'eau peut prendre feu sans qu'il n'y trouve quoi consumer, souhaitant la malédiction à celui qui a pu l'allumer et l'attiser et a mis en garde celui qui voudrait s'y réchauffer. L'eau prend-elle feu ? C'est la fin du monde ! Et nous voilà emportés dans les répliques entre les personnages dans leurs relations avec l'Homme dans ses activités économiques, sociales et culturelles. L'auteur y passe en revue, entremêlés, les raccourcis issus des contes et les attitudes humaines dont il a choisi de parler. Vaste balade dans un univers où la philosophie de la vie est jointe à la délicatesse du langage en métaphores et paraboles, choisis dans le vocabulaire d'une tribu de pasteurs agriculteurs des hautes vallées du Haut Atlas Oriental. Ce qui n y pas écrit est plus éloquent que ce qui y est écrit a commenté un critique «analphabète» des Aït Mrghad, après avoir écouté le récit écrit. L'intérêt de ce texte réside dans les différents corpus qu'il offre aux chercheurs, selon les intérêts. C'est dans la langue amazighe que la culture marocaine, quelque soit sa langue d'expression, trouve sa parfaite illustration. Ce passage aujourd'hui à l'écrit de la langue maternelle, dans le contexte des Etats-nations, est une question qui mérite réflexion, puisque le phénomène ne se passerais pas sans impact, et à tous les niveaux. Son accès à l'espace public et institutionnel aux côtés des autres littératures marocaines, d'expression française et arabe, reste encore peu encourageant à son développement et à son émancipation de la folklorisation dominante qui fait de ce vecteur du devenir, un simple résidu du passé . Espérons !
Mustapha El Qadéry, Rabat.
- Tassadit Yacine-Titouth , Chacal ou la ruse des dominés. Aux origines du malaise culturel des intellectuels algériens , La Découverte , Paris, 2002.