Une première lecture de son recueil de poèmes intitulé Raɣ ay id : Appelle-moi!
Le dire poétique chez Naïma Farisi émane d’une urgence : l’urgence de dire. Dire avant qu’il ne soit trop tard. Dire envers et contre le Silence qui assiège le Je – Nous et menace de le réduire à l’aphasie, le précipiter dans l’abîme du non-étant qui engloutit tout non-disant, individu ou communauté.
Pour vaincre ce Silence, la poétesse met en place un dispositif énonciatif basé sur un Je tour à tour personnel (intimiste), genré (féministe), communautaire (nationaliste). Et quelle que soit la voix portée par ce Je, il la porte avec ardeur et passion. Une passion qui met le feu au Verbe, à la langue ; et, tel un forgeron, la poétesse s’empare des mots chauffés à blanc par ladite passion pour les intégrer dans les configurations les plus inattendues. Des métaphores audacieuses viennent prendre en charge, c’est le cas de le dire, des charges émotionnelles d’une intensité telle que l’usage normatif de la langue s’en trouve souvent perturbé. Une rythmique passionnée, habitée à la fois par les mouvements d’âme d’une poétesse blessée dans son moi individuel et collectif et par les échos d’un lointain « Ralla buya » dont la Voix amazighe rifaine (du Rif) a, depuis des temps immémoriaux, rythmé le récit de ses heurs et malheurs.
Les trente-et-un poèmes de ce premier recueil décrivent un Je tour à tour combatif, résigné, amoureux, dépité, vaincu, résilient… Les blessures narcissiques s’y entremêlent avec la grande blessure de l’Histoire, donnant ainsi lieu à une énonciation dans laquelle Je est un Autre et vice versa.
L’amour, dans tous ses états, occupe une place prépondérante dans le recueil. Amour contrarié, sans issue, source de souffrance, de chagrin, de révolte, mais aussi de nostalgie… Les poèmes d’amour brodent autour de l’Absence.
Pour dire cet amour in absentia, la poétesse mobilise une imagerie faites de métaphores audacieuses, souvent inattendues, émergées d’un imaginaire en ébullition et alimenté par une tradition poétique orale ancestrale.
Il y a lieu de relever un phénomène énonciatif plutôt curieux sous la plume d’une poétesse dont le statut auctorial est établi. Je veux parler de ces deux ou trois poèmes où le sujet de l’énonciation amoureuse est un Je masculin qui s’adresse à un énociataire féminin ! S’agit-il là d’une réminiscence de ce procédé connu dans l’izli, poésie orale non attribuable à un poète individuel, qui aménage des sortes d’instances poétiques que viennent occuper tous les Je, féminins et/ou masculins, en quête d’une expression efficiente de leurs états d’âmes ? Autrement dit, faut-il y voir un exercice de style (Je est un jeu), à la suite du Poète oral anonyme qui élaborait des outils poétiques efficaces à l’attention des Je en désirance qui viendront les utiliser pour leurs propres besoins d’expression ? Ou, au contraire, faut-il y voir une Énonciation Amoureuse Absolue, une sorte d’Absolu amoureux qui transcende les genres et les déterminants ?
La poésie amoureuse de Naïma Farisi se caractérise par une audace exceptionnelle, vu l’ancrage socioculturel de la poétesse. En effet, si la thématique amoureuse prise en charge par une énonciation féminine qui n’a pas froid aux yeux n’est pas étrangère au corpus poétique amazigh, (loin s’en faut !), le Je féminin dans ce dernier est un Je anonyme. Or l’anonymat, comme chacun sait, permet toutes les audaces ; ce qui n’est pas le cas de la poésie amoureuse qui nous occupe ici : Je dans Raɣa y id est, exception faite des quelques cas énonciativement problématiques relevés plus haut, un Je auctorial : il réfère à l’auteure, à la signataire du livre. C’est un Je largement autobiographique (mais pas seulement…). Et en cela, en cette irruption du Je féminin dans le champ poétique amazigh, la poésie de N. Farisi, après quelques autres, constitue une rupture dans le régime de production du discours amazigh en tamazight et énonce l’amorce d’une modernité discursive intégrée linguistiquement (au niveau de la langue).
Le Je intime laisse, dans certain poèmes, la place à un Je féministe militant. Un Je qui dénonce et revendique. Il dénonce la condition actuelle de la femme amazighe que la poétesse attribue aux influences d’une culture exogène, non amazighe donc, qui met la femme sous tutelle en lui assignant le statut juridique de mineure à vie. Les revendications féministes s’inscrivent, quant à elles, dans le discours global du mouvement amazigh qui met en avant l’authenticité culturelle amazighe et appelle à se libérer de l’aliénation en retrouvant les valeurs amazighes authentiques…
Et c’est là que Je fusionne avec Nous : un Nous identitaire qui oscille entre l’autoglorification et l’auto-flagellation. Les figures historiques et/ou mythiques amazighs qui alimentent la première sont convoqués avec fierté, mais c’est pour approfondir les sentiments de frustration et d’humiliation que ressent, dans le présent, le Nous amazigh militant, et qui le rendent parfois enclin à la seconde (= l’auto-flagellation)… Ce sont ces mêmes sentiments, conjugués à l’absence de volonté de leur prise en considération par l’Autre, qui, malheureusement, sont à l’origine de quelques dérapages verbaux (c’est le cas de le dire) qu’il y a lieu de regretter.
Cela dit, il appartient aux porteurs de l’idéologie dominante de mettre un terme à la spirale du ressentiment en en traitant les causes…
Ces états d’âme, ces blessures du moi individuel et collectif, ces sentiments et ressentiments, sont dits dans un langage poétique qui, tout à la fois, réactive l’izli et le dépasse; en emprunte les modes de production de sens et les détourne pour servir les visées d’une poétesse pleinement ancrée dans son temps. Cette stratégie d’écriture inscrit la poétique de N. Farisi dans ce que j’ai appelé ailleurs « une littérature amazighe de transition » (http://tawiza.byethost10.com/Tawiza77/Amsbrid1.htm), dont l’écriture n’évacue pas complètement l’oralité. Je dois pourtant préciser qu’elle ne s’y inscrit que partiellement. Car si elle effectue des percées significatives en termes d’écriture, la poétique de Raɣa y id relève davantage du transcrit que de l’écrit. Il va sans dire que cette affirmation n’est nullement un jugement de valeur !
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