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Petit parcours d' une Tamazight arabisée


Par Fatima, AmazighWorld.org
Date : 2006-12-03

 

Toute petite, je me montrais, comme je présume tous les enfants, très curieuse. L'enfant se pose des questions sur la lune et le soleil, les petits et les grands, l’ombre et la lumière mais aussi la vie et la mort... Plus tard, mes questions bifurquaient dans le terrain de l'existence. Non seulement mes questions étaient d'ordre existentiel mais, en plus, elles se multipliaient au fil que les jours courraient.

Vers l'âge de 15 ans, il faut le dire, j'étais perdue. Perdue comme jamais …

Adolescente, mes interrogations commençaient à prendre une tout autre ampleur : la question de l'identité s'ajoutait et  me dérangeait l'esprit. Le retour aux racines, passage incontournable dans l'existence de l'être humain qui use de sa raison, est, à mon goût, l’opération psychologique la plus compliquée. Je devais, pour avoir enfin la conscience tranquille, déclencher un processus d’introspection de moi-même, une exploration et une autocritique de ma personne… Contre mon gré, je me trouvais dans une bulle que seuls des éléments de réponse à mes questions pouvaient briser. Une bulle péniblement enivrante que, désormais, je ne pouvais plus supporter.

 «  Qui suis-je ?» : telle était la question qui me perturbait et à laquelle je me devais répondre. A vrai dire, je n’avais pas le choix. On ne peut vivre en étant troublée psychiquement et bombardée de questions identitaires en permanence …

Je me suis intéressée, pour procéder par élimination, aux questions sur ma langue maternelle : Tamazight, plus précisément le dialecte chleuh. Je m’étonnais de savoir qu’en général, chacune de mes phrases comportait un terme en «Dialecte Marocain», en darija. Très surprise par ce fait, je demandais autour de moi la signification de mots très simples : «Bonjour?» et on me répond «Salam», «et Merci?», «Eh bien, cukran!». Ah bon? «  Et  «la vie» alors ? Facile : «Lhayat» … Mais «Azul», «Tanemmirt» et «Tudert» sont des termes qui appartiennent à quelle langue alors ? Le Thaïlandais ? …

A ma grande surprise, c’étaient des mots que l’on disaient en cours d’Arabe… En effet, je prends des cours d’Arabe littéral, cette fois-ci, depuis l’âge de 10 ans et aujourd’hui encore. Je me suis alors demandé «Pourquoi apprendre à écrire et à lire l’arabe, une langue aussi belle soit-elle, alors que je ne sais même pas lire et écrire Tamazight, ma propre langue, celle de ma mère?». «Parce que ta langue est orale, elle ne s’écrit pas» me dit-on. Mais «Pourquoi?». J’ai donc dévoré les livres d’histoire, bien que jeune, je voulais absolument savoir pourquoi cette oralité de Tamazight et à ma surprise, encore une fois, j’ai appris le sort de ma langue, une langue marginalisée depuis des siècles, une langue que l’on a voulu et que l’on veut toujours morte et enterrée. Je suis tombée sur le précieux Tifinagh que les Touaregs ont, fort heureusement, conservé au fil du temps. Les Imazighens possèdent un alphabet contrairement à ce que l’on m’a dit et je l’ai mémorisé de suite, en quelques heures, comme si j’avais peur, inconsciemment, que l’on me le vole …

 
Je me suis rendue compte que l’on m’a arabisé linguistiquement.

Je suis musulmane de culture mais surtout de conviction. En réalité, si je prenais des cours d’Arabe, c’est parce qu’en fréquentant la mosquée et en prenant des cours coraniques, on m’a dit qu’ «Il faut apprendre l’Arabe pour avoir la satisfaction de Dieu». Mais «Dieu n’est pas injuste!». Il faut donc apprendre l’Arabe, quitte à délaisser sa langue maternelle, pour que Dieu m’aime? ! Alors pourquoi Dieu a fait que je suis née Tamazight et non Arabe? Dieu n’aimerait-il donc que les Arabes? Mais «Pourquoi les Arabes ne représentent qu’un musulman sur dix alors?»…
Que de questions sans réponses … Je me suis contenté d’apprendre l’arabe, d’apprécier cette langue mais surtout de négliger ma langue maternelle même éternelle … En plus de cela, «L’arabe est la langue du Paradis, si tu ne l’apprends pas, tu parleras arabe quand même si tu es accepté au Paradis..». Encore plus étonnée… J’ai cherché des preuves concrètes de la Sunna et j’ai découvert ce hadith qui n’est qu’un dire inventé par les Arabes. J’ai réalisé que ma religion est une religion égalitaire et qu’elle est prise en otage par des hommes. Mais qui?

         Je me suis rendue compte que l’on m’a arabisé religieusement.

         Après la langue et la religion, ces deux éléments qui composent ma culture, j’ai commencé à me poser des questions, justement, sur l’aspect folklorique de la culture Amazighe. Des questions innocentes, sans doute absurdes, mais lourdes de sens…
        
Ce qui m’a le plus étonné, c’est les mariages (Marocains surtout). Je ne comprenais pas pourquoi ces jeunes époux, pourtant Chleuh donc Imazighens autant que moi sinon plus, faisaient appel à une «neggafa», un «orchestre  marocain» spécialisé dans le «chaabi», un traiteur offrant ses spécialités «typiquement marocaines», des plats et autres choses tout aussi délicieuses mais sans aucune ressemblance avec les plats culinaires que l’on mangeaient dans nos villages… Alors qu’au Maroc, dans nos chaleureux villages, les traditions étaient respectées sans pour autant être taxés d’anti-modernité… Je cherchais, en vain une quelconque trace de l’ Amazighité :mais où sont les magnifiques foulards jaunes, rouges et verts de Timazighines Ihbirran? Où sont ces femmes qui chantaient Hirru n  Wirru entre elleset Ahiduss avec les hommes dans mon village? Où sont passées les tenues vestimentaires traditionnelles Amazighes? Même le folklore Amazighe n’apparaissait pas! Les jeunes dansaient sur de la musique arabe, orientale, y compris moi-même et j’en ai honte, et délaissaient, et encore aujourd’hui, leurs propres traditions pour en embrasser d’autres …
Quant à la musique, je dois admettre que j’ai négligé la musique Amazighe aussi en prétextant que «Je ne comprends pas les paroles» et en embrassant la musique arabe. Quelle honte!

Je me suis rendue compte que l’on m’a arabisé culturellement.

Ce n’est pas le fait de me passionner pour la culture Arabe qui me fait rougir de honte (bien au contraire je suis, après être un être humain, Tamazight mais aussi ouverte culturellement comme sur tous les autres plans de la vie), c’est le fait d’avoir cracher sur la culture Amazighe, ma propre culture et celle de mes ancêtres, pour en embrassant une autre que l’ n m’a imposé inconsciemment.

Mais qui est ce «on» ? Qui arabise et pourquoi ?

En augmentant ma curiosité, mes lectures d’ouvrages d’histoire car c’est par l’ouverture d’esprit, la curiosité et la lecture que l’on combat les idées reçues, je me suis rendue compte qu’un immense appareil panarabiste était derrière tout cela, une machine de guerre, une vraie déclaration de guerre aux Imazighens et en plus de cela, pour couronner le tout, depuis belle lurette, l’arabisation écrase ma culture, ma terre et ma langue depuis des siècles! J’ai réalisé, par conséquent, que toutes ces personnes que je critiquais pour avoir déshonorer leurs ancêtres ne sont que de pauvres victimes de ce système étouffant, comme moi je l’ai été, qui dure depuis des lustres. Un système qui instrumentalise la religion au nom de la suprématie de la race Arabe, un terrorisme barbare basé sur aucun argument solide ni aucune logique car les Arabes, si on se sert de sa cervelle désarabisée, sont en Arabie et pas ailleurs. Les Imazighens sont chez eux, piétinés, massacrés comme de vulgaires microbes qu’il suffit d‘écraser pour faire taire. Mais c’est un système qui manipule, lave les cerveaux et trompe les Imazighens peut être mais c’est surtout un système qui se trompe lui-même.

Car ce n’est pas en éliminant un Amazighe qu’on élimine sa pensée. Ce n’est pas en intimidant des hommes assoiffés de liberté et de dignité qu’on les fera renoncer à se battre pour la cause amazighe, une cause juste, noble et légitime. Qu’ils le sachent.

         Tous les mensonges sont insupportables sauf le mensonge identitaire. Combien de fois a-t-on menti aux enfants en leur cachant la vérité sur leurs parents? Combien d’enfants cherchent à connaître leurs parents à tout prix?
         Pour ma part, on ne m’a pas dissimulé l’histoire de mes parents, non. On a fait pire ! On m’a dissimulé MES ANCETRES! Tout un peuple! Toute une histoire, toute une civilisation qui s’apparente à  de l’or ! Voilà pourquoi je ne pardonnerais jamais, à ces voleurs de chair et d’identité. Même si la dignité du peuple amazigh, et j’ y crois, est restaurée.

Fatima Alahyan
Asif n Dades (Sud-Est, Maroc)
Rénnes,France.



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