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Massinissa : l’art et la manière


Par Lahsen Oulhadj, AmazighWorld.org
Date : 2007-01-28

Il y a quelques années déjà,  au cours de l’une de mes pérégrinations agadiroises, s’échappait de la chaîne d’un disquaire,  dans je ne sais plus quelle ruelle grouillante de monde, les mélodies captivantes de l’un des morceaux de Tifilla (lueur en amazigh), le premier album de Massinissa. Si mes souvenirs sont  encore bons, c’était la chanson avec des enfants, tamazirt inu (mon pays). Le coup de foudre a été immédiat.  Je n’ai pas hésité un seul instant à me le procurer. D’autant plus que je n’étais  pas au bout de mes agréables surprises. Les chansons restantes étaient  toutes de la même facture.   Un vrai bijou musical que j’écoute encore au  jour d’aujourd’hui avec un plaisir jamais démenti.         

  Massinissa, qui nous a gratifiés de ce ravissant opus, a donc bien réussi son coup.  Et c’est le moins qu’on puisse dire. Mais d’où nous vient-il ? En fait, c’est un pur produit du mouvement culturel amazigh (MCA). Il est de la lignée des Agizul, Titrit, Mellal, Aza, Izri, Yuba… Ses membres fondateurs ne sont pas nés de la dernière couvée. Loin de là. En fait, ils  ont roulé leur bosse, des années durant, sur le terrain du militantisme. Au sein de la section agadiroise de l’organisation  de Tamaynut pour être plus précis.  Même s’ils sont tous les dignes fils de Dcheira. Cette petite cité fort célèbre de la banlieue marginalisée de la capitale du Souss,  considérée à juste titre comme un passage obligé de tous les noms, passés et   actuels -et même à venir-, qui comptent –et qui compteront peut-être-  dans la chanson amazighe. Et la source n’est pas près de tarir. Même si elle ne paye vraiment pas de mine, Dcheira continue à fournir des vagues successives d’artistes extrêmement doués. À la plus grande satisfaction de la faune nombreuse des mélomanes et autres aficionados des sonorités musicales des hommes libres.   

« Chaises musicales »

Plus que jamais le cœur battant de la musique amazighe, «Dcheira,  a connu la naissance de Massinissa plus exactement en 1994. Grâce   à  trois musiciens, tous des   copains de classe et tous militants associatifs : Larbi Bouzrab, Aissa Habboune ( qui n’est autre que le grand frère du chanteur bien connu Yuba) et moi-même », nous confie modestement l’excellent guitariste et leader de la troupe,    Abdellah Chafiq. « Quant au nom, enchaîne-t-il,  notre choix n’est pas dû au hasard. C’était très réfléchi. Parce que Massinissa était  un personnage important dans l’histoire de notre  peuple. Et ce pour au moins deux raisons : politiquement, il a été le premier  roi qui a voulu réaliser sous sa bannière l’unité de l’Afrique du Nord. Culturellement, il était un mordu  de la musique et s’entourait de beaucoup de chanteurs, qui venaient parfois de tout le pourtour méditerranéen. Sans oublier un autre argument qui n’en est pas moins important : nous trouvons que c’est un nom qui  sonne très bien à l’oreille. »


Le baptême du feu  de la troupe, qui a été  on ne peut mieux accueilli, a eu lieu  lors d’une soirée organisée l’été de 1995 par Tamaynut  au théâtre de la Verdure à Agadir.   Il a été assuré merveilleusement bien par A. Chafiq et L. Bouzrab à la guitare, A. Habboune au violon et trois choristes : Khadija, Amina et Ijjou. Mais comme toutes les jeunes troupes qui cherchent constamment leurs marques, Massinissa a connu une véritable valse de musiciens. Des membres l’ont rejoint pour rester et d’autres pour partir. Et ce sans  jamais renoncer un tantinet soit peu à sa personnalité musicale sui generis. Celle qui a présidé à sa fondation. 

En  1997, c’était  Omar Akhatar qui l’a intégré en tant que guitariste et chanteur. Pour former une sorte de véritable dream team.  Mais juste après l’enregistrement du premier album,  il s’en est allé pour des raisons qui lui sont propres. Il n’en demeure pas moins que sa « patte » dans l’album Tifilla a été on ne peut plus importante. Son jeu de guitare y a été déterminant. D’autant plus que son interprétation de pratiquement tous les titres, avec sa voix suavement sensible et franchement attachante, a été une réussite totale. Si vous voulez vous en convaincre, l’album est entièrement disponible gracieusement sur le site officiel de Massinssa : www.massinissanet.tk Vous pouvez donc l’écouter à votre guise. 

Comme toujours dans ce genre de situation -le départ d’O. Akhatar-, il faut impérativement s’adapter. Rien que pour continuer d’exister. À partir de 2001,  avec d’autres nouveaux musiciens comme J. Boumadkar à la basse, M. Qamchich à la batterie, A. Chafiq a pris les choses en mains. C’est lui qui allait dorénavant chanter. Un choix pour le moins judicieux. Car cette nouvelle formule avait le mérite de plaire. Énormément. La preuve,  Massinissa est systématiquement invité à toutes les manifestations culturelles organisées dans la grande région du Souss. Et même ailleurs.  Mais comme les choses ne sont jamais éternelles, voilà  que trois éléments essentiels qui décident à leur tour de décrocher. Si le guitariste L. Bouzrab – remplacé sur-le-champ par Hassan Id Mhand-, est  parti provisoirement à Rabat pour y poursuivre ses études musicales,   le batteur M. Qamchich et  le violoniste A. Habboune –remplacé par Mohamed Amal- ont définitivement quitté le groupe. 

Après ces multiples «défections », il faut donc trouver une autre solution. Immédiatement. Car  le temps presse.  Massinissa devait en fait se produire dans la version off de  Timitar 2004, l’un des plus grands festivals dédiés à la musique au Maroc. Deux grands musiciens sont venus lui donner un coup de main :   Jamal Oussfi qui n’est autre que le batteur talentueux d’Amarg Fusion  et Adil Aissa au clavier.  La prestation  de Massinissa y a été telle qu’il a été réinvité naturellement l’année suivante. Mais cette fois-ci à titre officiel.  Une occasion de montrer ce qu’il a dans les tripes et par le fait même de convaincre. Afin de ne pas se répéter, il était impérieux de s’accorder les services de nouveaux talents.  Comme noms, on peut citer :   le batteur Habib Kaâkaâ du groupe Jouwala,  Brahim Irouf, le virtuose d’agmbri ( une sorte de basse traditionnelle)  des célèbres Iguidar, le percussionniste  Hamid Ettahi. 

Quid de tout ce chassé-croisé pour le moins incessant ? « Massinissa, affirme A. Chafiq, n’est pas un groupe dans son acception traditionnelle. Même s’il y a toujours quelques membres qui ne changent jamais, les autres musiciens qui les rejoignent épisodiquement ne sont que des exécuteurs- sans diminuer rien de leur talent- qui participent selon les circonstances et  les musiques jouées. Cette manière de faire est loin d’être négative. Bien au contraire. Car la contribution de chacun d’eux permet d’enrichir à coup sûr nos compositions. »        

Chemin faisant, les choses commencent réellement à se fixer. Il faut impérativement s’inscrire dans la continuité. Tel est le premier souci des responsables de Massinissa. En tous les cas, ils y travaillent fortement. Appelée à durer, la  composition actuelle du groupe, réunie autour du  noyau central,  A. Chafiq, L. Bouzrab et J. Boumadkar, compte des  musiciens pas vraiment connus mais qui ne manquent aucunement de talent  : Jawad Elhiri au clavier, Younes Teftal à la batterie, M. Chmirou à la guitare et K. Berkaoui à la percussion.     

Difficile parturition 

Produire son premier album a été un véritable chemin de croix. «  Cela n’a pas été facile, mais il fallait le faire », se rappelle encore A. Chafiq  un brin nostalgique. En fait, rien que par les efforts déployés et les sacrifices consentis, Massinissa mérite tout notre respect. Tellement les difficultés ne manquent pas.

La première, c’est le style. Il faut savoir que la chanson dominante dans le Souss à la fin des années 90 est principalement  celle des rways et celle des groupes  (de la trempe d’Oudaden et autres  Inerzaf... ) Les chances d’être produit pour tous  les artistes qui osent apporter quelque chose de nouveau, sont quasiment nulles. Ce qui est encore plus vrai dans le cas de Massinissa. Il faut donc ramer. Douloureusement. En ne comptant que sur soi-même. 

La deuxième, c’est les producteurs. «   Ils optent pour la facilité, explique fort à propos A. Chafiq, en ne visant que  le profit commercial  au détriment de la qualité et  l’originalité musicales. En fait, ils n’ont aucune compétence technique et à plus forte raison  artistique. Ils se sont déclaré producteurs tout simplement parce qu’ils ont l’argent. » Effectivement, au Maroc, si aberrant que cela puisse être, c’est malheureusement le cas. Qui plus est, l’industrie du disque est une véritable jungle. À  tous les niveaux. Aucune transparence. Aucune règlementation. Aucun sérieux. En fait, rien de rien.  Résultat :  la sempiternelle victime  est  malheureusement souvent l’artiste lui-même. Et ne demandez surtout pas à l’État de mettre de l’ordre dans tout cela. C’est le dernier de ses soucis.

Sur ces entrefaites, Massinissa n’avait pas vraiment le choix. Il s’est tourné naturellement comme tant d’autres troupes amazighes modernes, Amarg Fusion pour ne citer que celle-là,  à l’autoproduction.  Les ressources financières étant très limitées, il faut bien tenir ses comptes. Avec rigueur. Sans pour autant perdre de vue la qualité. D’ailleurs, l’informatique a été une véritable bénédiction. Ses possibilités sont quasiment infinies. « On a fait appel, note A. Chafiq,  à la technologie de la M. A. O (musique assistée par ordinateur) pour  travailler les structures de base tout en  sachant que l’enregistrement  de chaque morceau avec tous les arrangements prendrait beaucoup de temps dans un studio analogique, donc des frais de plus. » 

Pour l’enregistrement à proprement parler, à défaut de se déplacer à Casablanca où  se trouvent le nec plus ultra des studios au Maroc, Massinissa a opté pour une structure locale, El-Maâarif. En fait, à l’époque c’est ce qu’il y avait de mieux à Agadir.  Le budget étant plus que serré, une course contre la montre est quasiment engagée. Le moindre retard est payé immédiatement rubis sur ongle. A. Chafiq précise que  «l’enregistrement et le mixage- que nous avons fait nous-mêmes car le technicien ignore tout de notre style-   n’a duré en tout et pour tout que cinq jours. Ce qui est en lui-même un temps record.   À raison de sept heures de travail par jour. Chaque tranche horaire n’étant pas gratuite. On a donc déboursé  2000 dirhams chacune. La  bande magnétique valant, à elle seule, 1000 dh alors que la DAT ( digital audio tape) pas moins de 150 dh. Sans oublier la rémunération de  200 dh pour un employé du studio,  chargé de répondre aux petits besoins du staff technique ».      

Quant à l’album lui-même,  sorti en 2000 et distribué par Itri music, il comporte en tout et pour tout 7 titres ( taferdut w unufl, immi, tadwarit, yat tizi, azetta, kemmin, tamazirt inu).  Ce dernier – c’est mon préféré- a été  enregistré avec des enfants. D’ailleurs  A. Chafiq  ne tarit jamais d’éloges sur leurs parents. Sans leur coopération, la chanson tamazirt inu n’aurait  jamais vu le jour. Du moins sous sa forme actuelle.

Langue châtiée

Sensible à la qualité des textes interprétés, Massinissa n’a pas fait les choses dans la demi-mesure. Et c’est le moins qu’on puisse dire.  Il a fait appel aux plus grandes plumes du Souss. Comme Mohamed Akounad, qui est de l’avis de nombre de critiques, un grand  écrivain dont les subtilités et les secrets de la langue amazighe n’ont plus aucun secret. C’est de loin celui qui y écrit le mieux en ce moment. Ce qui ne diminue en rien du talent, indéniable au demeurant, des autres poètes qui ont apporté leur pierre à l’édifice :   Mohamed Oussous, Brahim Farssi et Afoulay.  Étant encore plus jeunes, ils feront assurément reparler d’eux-mêmes. En tous les cas, l’avenir nous le confirmera.

À la question s’il n’y pas un risque que les auditeurs ne saisissent pas tout le sens des paroles, A. Chafiq ose une explication  on ne peut plus juste. « Vu la marginalisation chronique de la culture amazighe dans les médias et à l’école, argumente-t-il, le vocabulaire est devenu tellement faible chez nos compatriotes que nos textes apparaissent, de premier abord,  d’une complexité insurmontable. Mais ne comptez pas sur nous pour  tomber dans la banalité  et chanter cette même thématique de l’amour avec laquelle on nous rebat continuellement les oreilles. »   Quels sujets avait-on traité  dans le dernier album ? « Nos textes évoquent, ajoute-t-il,  les différents aspects de notre réalité (questions culturelles, existentielles et émotionnelles, l’identité,  la situation de la femme... »

À en croire A. Chafiq, le  2e album  restera fidèle à cette même ligne.  La même thématique va être une fois de plus abordée. D’autant plus que maintenant  à Agadir, ce qui est en soi une très bonne nouvelle, il y a des studios où l’on peut enregistrer dans des contions optimales. Techniquement donc cette  dernière création sera plus acoustique. Bien plus, des instruments traditionnels ( rribab, lotar, agmbri...) vont être employés pour la première fois. Histoire de ne pas trop s’éloigner des racines probablement. « Ses recherches musicales s’enracinent, lit-on sur le site Internet du groupe,  davantage dans le patrimoine musical traditionnel et s'ouvrent intelligemment sur les expériences musicales universelles. »  Tout  un programme !

Par ailleurs, il ne faut pas penser que le quotidien de Massinissa n’est pas  de tout repos. Loin s’en faut. En fait, il a un programme plus que chargé. Son leader A. Chafiq peut se targuer d’avoir un CV qui grossit à vue d’œil. Grâce au cinéma d’expression amazighe qui vit en ce moment un développement pour le moins exponentiel.  En musicien confirmé,  il est régulièrement sollicité pour composer la musique  de plusieurs  films.  Il a déjà à son actif une liste pour le moins longue : Tayri Issiwidn,  T.V.T , Wacc, Lqadi, Tiwwurga, Sidi Mhend ou Ali, Tizza w ul...  « C’est une expérience très intéressante qui m’a ouvert, se réjouit-il,  d’autres horizons. Elle  m’a permis de connaître les rouages de la production cinématographique. Même si  je travaille dans l’urgence et sous pression, car on ne me contacte souvent qu’à la dernière minute. Alors que j’ai besoin de plus de temps et surtout de moyens. » A. Chafiq a également travaillé sur le générique d’un documentaire  qui va sortir incessamment sur la vie de l’intellectuel engagé et non moins connu, feu Ali Azaykou.  Sans oublier ses multiples participations à la  réalisation d’albums  et de spectacles de plusieurs artistes : Yuba,  Aslal, Ikabaren...  

Le seul ombre du tableau. C’est l’attitude inique des médias marocains. Malgré cette nouvelle vague musicale, extrêmement créative,  représentée justement par Massinissa et autres Yuba,  Aza, Titrit,  Mellal, Amarg Fusion, Tafsut...,  ils continuent à l’ignorer superbement.  En tous les cas, c’est ce qu’ils ont toujours fait. Tellement que  dans l’esprit de tous ceux qui sont à leurs têtes, l’amazighité ne peut rimer qu’un avec un folklore préhistorique. Donc pas digne de passer dans les télévisions et les radios publiques. Un vrai scandale. Permanent en plus. 



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