Que pensez-vous de ceux qui prétendent que l’identité du Sahara est amazighe ?
Ce n’est pas une prétention mais une réalité à la fois historique et actuelle. Ces territoires font partie de Tamazgha et ont depuis toujours été habités par des Amazighs, notamment des Touaregs au mode de vie nomade. C’est le cas depuis la Libye jusqu’à l’océan Atlantique. Le peuplement et la toponymie amazighs sont toujours là pour le prouver. Si on prend l’exemple de l’ex-Sahara occidental, les localités s’appellent : Anzaren, Guelta Zemmour, Imlill, Agoninit, Tifarit, Aoussard, etc. Même Nouakchott est un toponyme amazigh. Bien entendu, l’arabisation étant aussi passée par là, beaucoup de noms de lieux ont été arabisés, comme ailleurs dans les pays de Tamazgha. D’une manière générale, je ne vois pas comment pourrait-on prétendre que le Sahara est arabe alors que l’Est, l’Ouest et le Nord sont amazighs et au sud il y a l’Afrique noire. Quelques commerçants arabes même installés là depuis longtemps, ne peuvent suffire à modifier la nature amazighe du Sahara.
Comment voyez-vous le séparatisme du Polisario ?
En tant que peuple amazigh qui lutte pour ses droits et sa liberté, nous sommes par principe, solidaires de tous les peuples en lutte pour leur émancipation. S’agissant de l’ex-Sahara Occidental, le problème se pose dès lors que le Polisario a créé la République Arabe Sahraoui Démocratique (RASD). En tant que mouvement amazigh en lutte contre des Etats arabistes (d’Afrique du Nord), nous sommes naturellement contre tout projet de nouvel Etat «arabe» en terre amazighe. Nous avons rencontré à maintes reprises sur les places internationales, des responsables du Polisario et de la RASD et nous leur avons expliqué notre position. Nous leur avons même proposé un défi : qu’ils changent leur appellation en supprimant la référence exclusive à l’arabité et qu’ils élaborent un projet démocratique et pluriel et nous serons prêts à les soutenir.
Quelle est la position du mouvement amazigh nord-africain concernant les conflits qui sévissent au Sahara ?
Les conflits ouverts qui sévissent dans le grand Sahara sont de différentes natures : il y a ceux qui opposent les Touaregs du Mali et du Niger aux gouvernements et celui de l’ex-Sahara Occidental.
S’agissant des Touaregs du Mali et du Niger, le conflit est principalement lié à la marginalisation multiforme qu’ils subissent. Ils sont écartés de tous les centres de décision, privés du bénéfice des richesses naturelles qui se trouvent dans leurs territoires, socialement relégués et toujours repoussés plus loin vers les espaces les moins utiles et où les conditions de vie sont les plus âpres. Pendant ce temps, les Etats de la région (Mali, Niger, Algérie, Libye) mettent la main sur les gisements de richesses du Sahara (pétrole, gaz, uranium…) avec l’aide de firmes multinationales où les Touaregs n’ont même pas droit à un emploi ! Les appels de détresse des Touaregs dans les années 1990, n’ont reçu en réponse que la répression qui a fait plusieurs milliers de victimes parmi les populations. Après ces massacres, des promesses ont été faites mais sans lendemain. Il ne restait plus alors aux Touaregs que la solution de prendre les armes une nouvelle fois, comme moyen d’alerter l’opinion publique et pour imposer qu’on les écoute et qu’on entende leurs revendications. Ce peuple n’aspire pourtant qu’à préserver son identité, à jouir des ressources que lui offre ses territoires et à vivre libre et en amitié avec les autres peuples.
Quant au conflit de l’ex-Sahara Occidental, il a également comme source, le pouvoir, le contrôle des richesses et le besoin d’hégémonie des Etats. Les peuples de la région ne sont pas concernés par ce conflit qui est d’abord et surtout une confrontation entre Etats. Les populations et en particulier les Amazighs, n’ont été impliqués de part et d’autre, que comme soldats, c’est-à-dire comme victimes. Un sondage sur la question du Sahara, publié récemment par « Le détective marocain », donne 36,4% des marocains qui sont pour l’autonomie et 36,4% qui « s’en fichent » ! Presque 3 marocains sur 4 bottent donc en touche, ce n’est pas leur conflit, ils n’ont été ni à son origine, ni ne seront appelés à son dénouement. Alors ils s’en moquent et cela doit être pire en Algérie ! En revanche, je suis persuadé que la quasi-totalité des populations d’Afrique du Nord seraient vivement intéressées par un sujet comme l’ouverture de la frontière algéro-marocaine.
En définitive, s’il y a une réelle volonté d’une paix juste, il serait temps que toutes les parties concernées fassent l’effort de s’asseoir autour d’une table pour négocier une sortie honorable à un conflit désastreux et qui n’a que trop duré.
Comment appréciez-vous l’idée de l’autonomie ? Et quelle serait la position des Amazighs du Sahara à ce sujet ?
En tant qu’Amazighs, nous pensons que le fédéralisme et par conséquent les autonomies régionales, sont la solution à la fois en faveur de l’amélioration de la gouvernance des Etats et comme moyen de préserver notre identité. Au Maroc, il me semble qu’il y a un large consensus sur ce point et le mouvement amazigh marocain revendique clairement cette option. Il en est de même pour plusieurs autres régions en Afrique du Nord comme la Kabylie et l’Aurès en Algérie, ainsi que le pays Touareg. C’est pour nous, la solution d’avenir.
B. Lounes